La vieille ville de Jérusalem n’en est pas à son premier traumatisme. Mais ceux qui l’habitent n’en doutent pas, ici l’épidémie de coronavirus restera longtemps dans les mémoires. Les rues étroites et tortueuses, d’habitude bondées de touristes en quête de souvenirs ou de pèlerins en route pour l’un des trois lieux saints qu’abritent les remparts, sont désormais vides. L’impression est étrange. Comme si la cité était rendue à ses habitants palestiniens.
« Ça me rappelle l’Intifada »
Porte de Damas, l’une des principales entrées de la Vieille ville, ces deux garçons qui courent après un ballon et les vendeuses de feuilles de vigne pourraient pourtant faire croire qu’ici, chacun continue ses activités quotidiennes. Il n’en est rien. En Israël, et la mesure s’applique également à la Ville sainte sous occupation, le confinement n’est pas encore obligatoire mais les consignes du ministère de la Santé sont strictes.
Il faut éviter de quitter son domicile, les réunions de plus de dix personnes sont interdites, les magasins « non indispensables » sont fermés, les écoles et les universités aussi. Les frontières sont bouclées et, surtout, le gouvernement s’est octroyé le droit de traquer le téléphone de quiconque aura été en contact avec un malade.
Pour le moment, dans les boutiques de la vieille ville, les conséquences économiques de l’épidémie inquiètent davantage que l’utilisation des données personnelles. Fathi Jabari, la cinquantaine et une barbe blanche taillée à la serpe, possède un magasin le long d’une des rues les plus commerçantes de la cité. Vendeur depuis vingt-cinq ans, il est catégorique. « L’absence de touristes est une catastrophe. Aujourd’hui, je n’ai même pas vendu pour cinq shekels. Ça me rappelle la dernière Intifada. »
Comme beaucoup de musulmans de Jérusalem, Fathi Jabari se rend tous les jours sur l’esplanade des Mosquées pour prier. Le Waqf, qui gère les biens musulmans de la Vieille ville, a fait fermer la mosquée Al Aqsa et le Dôme du rocher, mais pas l’accès aux dalles qui les entourent. Fathi Jabari n’est pas inquiète. « On a l’habitude de prier en extérieur. La seule différence, c’est qu’on s’écarte les uns des autres d’un mètre. »
Dans ces rues où tout le monde se connaît, les rumeurs liées au coronavirus vont bon train : la Vieille ville risque-t-elle d’être fermée à double tour alors qu’une poignée de cas y ont été détectés ?
Pour Sabrina Myre, une Canadienne expatriée qui vit à Jérusalem depuis plusieurs années, la densité de population n’est pas rassurante. « On vit empilés les uns sur les autres. Hier soir, j’entendais ma voisine palestinienne tousser et je me suis pris à me demander si elle avait le coronavirus ! »
Au quotidien, elle raconte des sorties, limitées à la recherche de produits de première nécessité, où le respect des distances de sécurité n’est pas facile à tenir.
Les magasins de babioles à touristes ont mis longtemps à fermer. La jeune femme admet que depuis le début de l’épidémie, « le regard sur les étrangers est devenu suspicieux ». En ces temps de crise, une grande partie des visiteurs à Jérusalem étant asiatiques ou européens, ils sont perçus comme un potentiel convoyeur de la maladie.
Des classes encore bondées
Au Saint-Sépulcre, l’écho des pas des prêtres qui arpentent l’église a remplacé le brouhaha des milliers de pèlerins qui, en temps normal, visitent chaque jour les lieux. Bien qu’ouvert, l’endroit est vide. Trois touristes, sans masque, se pressent autour de la pierre d’onction sur laquelle Jésus, aurait été lavé après sa mort.
En temps normal, l’huile de nard et de myrrhe que les moines y oignent plusieurs fois par jour disparaît presque instantanément sous les tissus des pèlerins. Mais là, de petites flaques grasses se forment à la surface du rocher. « Il n’y a plus de pèlerins, à quoi bon fermer le Saint-Sépulcre ? », s’interroge tout haut le père Ibrahim Shomali. Pour le chancelier du Patriarcat latin, la marche à suivre est claire : « On dit à nos fidèles de craindre le virus mais de ne pas oublier le problème de la faim dans le monde ! »
Du quartier chrétien, on met moins de cinq minutes à rejoindre le Mur des lamentations où des mesures « anti-corona » ont été prises. Pour respecter la règle du minian, selon laquelle un quorum de dix hommes adultes est nécessaire aux rites religieux, les croyants y sont séparés par des cordons jaunes aux airs de scène de crime.
Autre instruction du grand rabbinat : ne pas embrasser les pierres du lieu sacré, de même que les baisers aux mezouzots, ces rouleaux de parchemins sacrés placés à l’entrée des foyers, sont aussi interdits.
Ici les règles du ministère de la Santé, dirigé par l’ultra-orthodoxe Yaakov Litzman, sont respectées. Et le gouvernement tient à ce qu’elles le soient partout. Face au refus de certaines yeshivas (écoles talmudiques) de suivre les consignes, comme en attestent des photos de salles de classe bondées, le ministère a rappelé les institutions à l’ordre, le 18 mars dernier. Faute de quoi la communauté haredi risque de devenir l’un des principaux foyers de la maladie.