PLP : Lors d’un débat organisé à
Lodève (Hérault) à l’occasion de la
dixième édition du festival Voix de la
Méditerranée, Khayri Mansour [1] et vous même
étiez questionnés sur le thème :
« Etre poète aujourd’hui en Palestine ». Khayri
Mansour, immédiatement, a répondu :
« Comment ne pas être poète en Palestine ? ».
En dépit de l’occupation, la vie culturelle en
Palestine même paraît résister ; et de tels propos
semblaient faire écho à cette multitude
de rencontres, notamment à ce moment particulier
de mars 2002 où, en dépit des checkpoints
et des risques encourus, plusieurs
centaines de Palestiniens avaient multiplié les
kilomètres par désir d’entendre, dans le
théâtre al-Kassaba de Ramallah, non seulement
des poètes et musiciens palestiniens
mais également des écrivains venus avec le
Parlement international des écrivains, lire
leurs textes dans leur propre langue, à l’invitation
de Mahmoud Darwish. Dans le contexte
actuel, que vous inspire cette réflexion ?
Ghassan Zaqtan : Je me rappelle bien
cette soirée où j’étais moi-même venu
lire et écouter. Quelques jours après, le
théâtre était saccagé par l’armée israélienne,
au début de l’opération « Remparts ». La Palestine n’est pas seulement
un lieu, un pays. Elle représente plus que
cela : elle invite à une réévaluation morale.
A l’instar de poètes du Chili, par exemple,
ou de poètes français, dans des situations
de résistances, c’est ce qui pour
une part inspire les poètes palestiniens.
Après la fondation d’Israël, le narratif
palestinien n’était pas audible. La poésie
palestinienne s’est pour une part
employée à le retrouver, à l’écrire, et à faire
entendre la voix, le récit, des Palestiniens,
qui n’étaient pas entendus, en particulier
en Europe.
L’occupation israélienne est parvenue à
diviser les Palestiniens entre plusieurs
« îles » : la bande de Gaza, la Cisjordanie,
Israël, tous les
pays où sont les réfugiés
et notamment
la Jordanie, le Liban
et la Syrie ; des
Palestiniens chrétiens
sont exilés en
Amérique latine,
d’autres aux Etats-
Unis. Plus d’un demisiècle
de parcours et
d’expériences différents
en résulte :
ceux des différents
exils, ceux de l’occupation. Oslo a ouvert
la voie au retour de quelques-uns, avec
de grandes difficultés. Même à Ramallah
je suis un réfugié. Mais la Palestine est
aussi le lieu d’un dialogue entre ces expériences
diverses.
- DR - Ghassan Zaqtan
PLP : Vous avez eu l’occasion d’expliquer
que l’exil forcé vous a en quelque sorte en
même temps ouvert sur le monde et à d’autres
rencontres, ce dont la nouvelle génération
fait aussi comme une richesse, et vous évoquiez
également à son sujet un échange entre
l’universel et l’intime, dans une situation,
pourtant, où l’enfermement, multiforme,
s’ajoute à l’occupation. Qu’en est-il ?
G. Z. : C’est vrai. La nouvelle génération,
dans son écriture, est en même temps plus
proche du quotidien, avec moins de
« grandes idées » et de « phrases sacrées ».
Les jeunes auteurs sont plus proches du
réel. Auteurs, et auteures car cette génération
compte de nombreuses jeunes
femmes, en particulier dans la bande de
Gaza, comme Hala Shruf et bien d’autres.
Leur écriture se veut libre. Elle traite de
l’occupation, mais aussi des traditions
de leur communauté.
PLP : Sont-ils publiés ? Dans quelles conditions
est-il possible de les lire, en Palestine ?
G. Z. : La plupart sont déjà publiés.
Il y a de ce point de vue un réel effort du
ministère de la Culture. Certains ont été
publiés à l’étranger. Des anthologies ont
été écrites. Il faut souligner le travail
d’ONG, comme la fondation al-Qatan.
Toute cette nouvelle génération mérite
d’être connue. Les journaux jouent un rôle
important. Mais du fait de l’occupation,
nous n’avons pas de réelle maison d’édition
et c’est un vrai problème qui s’ajoute
aux difficultés de communication, de circulation.
Une branche palestinienne de
la maison al-Shuruq (Amman, Beyrouth
et Le Caire) devrait voir le jour avec des
projets de publication et de réédition.
Mais une décision israélienne interdit
l’entrée dans les territoires palestiniens
sous occupation d’ouvrages publiés dans
les pays arabes comme le Liban et la
Syrie. Une très grande part des livres
publiés dans la région l’est pourtant à Beyrouth.
Leur lecture nous est interdite.
Internet permet pour une part de contourner
ces obstacles. Le ministère de la
Culture, de son côté, publie chaque mois
un ouvrage en collaboration avec un
journal, qui le distribue et le présente
dans sa rubrique culturelle. Des échanges
sont organisés dans plusieurs universités,
dont les sections littéraires accueillent
des auteurs de Jéricho ou d’Hébron, en dépit, une fois encore, des multiples obstacles
à la circulation. La séparation entre
Cisjordanie et bande de Gaza rend en
revanche les choses beaucoup plus difficiles.
PLP : L’écrivain Mourid Barghouti confronte
Ramallah, la ville de son retour, à celle de sa
mémoire. Vous évoquez pour votre part un
retour incomplet...
G. Z. : J’ai passé l’essentiel de ma vie
en exil. Je suis un « returnee », mais je ne
suis pas de retour. Je découvre un lieu nouveau,
je ne le compare pas à une mémoire.
Je suis en quelque sorte en retour incomplet
dans un lieu incomplet. J’ai loué une maison
à Ramallah, j’aime la ville, je peux en
comprendre les signes, les sens. Mais il
est difficile d’écrire à propos de Ramallah,
d’Hébron, de Bethléem...J’ai visité Jaffa et
Haïfa où j’ai fait de nombreuses photos que
j’ai envoyées à ma mère à Amman. Les
photos en noir et blanc étaient pour moi
plus fortes que le réel en couleur. Ma mère
a gardé les vieilles photos.
PLP : Vous avez cofondé une maison de la
poésie à Ramallah [2]. De quoi s’agit-il ?
G. Z. : Effectivement, nous l’avons fondée
avec Hussein Barghouti [3]. Il s’agit
d’un lieu, de rencontres, de services aussi,
pour les poètes, les écrivains. A la mort de
Hussein en 2002, j’ai pour ma part arrêté,
me tournant vers d’autres activités, pour
tenter de faire connaître la poésie palestinienne.
Ghassan Zaqtan est né 1954 en Palestine, à Beit Jala, près de Bethléem. En exil pendant plusieurs
décennies -Jordanie, Syrie, Liban, Tunisie-, il est rentré en Palestine en 2004, et vit aujourd’hui à
Ramallah. Auteur d’une dizaine de livres de poésie, mais aussi de pièces de théâtre et de scénarios, il
travaille depuis 2004 au Ministère de la Culture comme responsable du secteur Littérature et Edition.
Il dirige par ailleurs les pages littéraires du quotidien Al-Ayyam de Ramallah.
Sélection d’ouvrages de poésie :
Sabah mobbaker (Petit matin), Dar Ibin Khaldoun, Beyrouth, 1980.
Asbab kadeemah (Vieilles raisons), Dar Al Awda, Beyrouth, 1982.
Rayat (Drapeaux), Dar Afaq, Damas/Nicosie, 1984.
Botoulat alashia (L’héroïsme des choses), Dar Al Kalimah, Beyrouth/Nicosie, 1988.
Lies men ajli (Pas pour moi), Al Multaka, Nicosie, 1990.
Sama khafeefah (Ciel de lumière), Dar Al Ahali, Damas, 1992.
Wasf al madi (Décrivant le passé), Dar Azminah, Amman, 1995.
Tarteeb al wasf (Classant les descriptions dans l’ordre), anthologie personnelle, Palestinian Writers
Union, Jérusalem, 1998.
Estedrâj al jabal (La tentation de la montagne), Arab Institute for Research and Publishing,
Beyrouth/Amman, 1999.