Au Yémen, il s’agit d’accélérer le départ d’Ali Abdallah Saleh, président du pays réunifié depuis 1990, mais qui était déjà à la tête du Yémen du Nord depuis 1978. Acculé, Saleh a déjà fait d’importantes concessions : il a promis qu’il ne se représenterait pas en 2013 et a renoncé à imposer son fils comme successeur. "Tous les ingrédients des situations tunisienne et égyptienne se retrouvent au Yémen, à Bahreïn, et au-delà en Libye, en Syrie et en Jordanie", relève ainsi Khaled al-Dhakil, professeur saoudien de Sciences politiques.
Même en Libye une "journée de colère" est prévue jeudi, suite à des appels lancés sur Facebook !
La contestation a gagné mercredi la Libye après avoir touché Bahreïn : La police libyenne a dispersé par la force dans la nuit de mardi à mercredi un sit-in contre le pouvoir à Benghazi (est), où 38 personnes ont été blessées, à la veille d’une "journée de colère" prévue jeudi, suite à des appels lancés sur Facebook. Selon des sites arabes d’information, les manifestants de Benghazi ont scandé des slogans contre le régime : "Benghazi, réveille-toi, c’est le jour que tu attendais", "le sang des martyrs n’est pas versé en vain", ou encore "le peuple veut faire tomber la corruption". "Chaque endroit interprétera les conséquences de l’Egypte à sa manière et dans son propre contexte", souligne Mustafa Alani, analyste au Centre de recherches du Golfe à Dubaï.
« On ne peut indéfiniment exercer le pouvoir par la force », déclarait Barack Obama
Ce qui nouveau et qui contraste avec l’immobilisme tragique de notre politique étrangère, c’est que l’Amérique d’Obama s’est rangée du côté de cette contestation. « On ne peut indéfiniment exercer le pouvoir par la force », déclarait Barack Obama lors d’une conférence de presse consacrée aux bouleversements du Maghreb et du Machrek. « Au Moyen-Orient, ajoutait-il, une jeune génération dynamique cherche à saisir sa chance et l’on ne peut pas se permettre d’être à la traîne si l’on gouverne l’un de ces pays ». « Ce n’est pas grâce au terrorisme, concluait-il, que se produiront de véritables changements dans ces sociétés mais parce que des gens se rassembleront pour exercer leur force morale dans une situation donnée ».Le président américain a indiqué que Washington avait "envoyé un message fort" à ses alliés de la région pour les inviter à prendre "exemple sur l’Egypte plutôt que sur l’Iran". Car Barack Obama a trouvé "ironique" que les dirigeants iraniens "fassent mine de célébrer ce qui s’est passé en Egypte, alors que dans les faits ils ont fait exactement le contraire de ce qui s’est passé en Egypte en tabassant les gens qui essayaient de s’exprimer pacifiquement".
Une contagion qui fait peur aux dirigeants iraniens si l’on en juge par les manifestations quasi-hystériques appelant à "pendre" les chefs de l’opposition
Car l’opposition iranienne qui était l’an dernier à un cheveu de réussir sa révolution, a retrouvé de l’énergie avec les événements des dernières semaines : Pour l’opposition iranienne, qui n’avait pas manifesté depuis plus d’un an, il s’agit de réaffirmer sa présence. Les affrontements entre dizaines de milliers de manifestants et forces de l’ordre, les nuages des gaz lacrymogènes et le chaos dans les rues de Téhéran étaient comme des réminiscences de la vague "verte" qui avait contesté pendant des mois la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009 avant d’être réprimée dans le sang. "Mort au dictateur", pouvait-on entendre crier dans les rues de Téhéran lundi, à l’encontre d’Ahmadinejad. D’autres s’en sont pris au tout-puissant Guide suprême et véritable pierre angulaire du régime des mollahs, l’Ayatollah Ali Khamenei, associé dans les slogans aux autocrates récemment chassés du pouvoir en Tunisie et Egypte : "Ben Ali, Moubarak, c’est le tour de Sayyed Ali", scandaient les manifestants, en référence au titre religieux de Khamenei. Une contagion qui fait visiblement peur aux dirigeants iraniens si l’on en juge par les manifestations quasi-hystériques, des députés iraniens appelant mardi à "pendre" les chefs de l’opposition. Le pouvoir iranien n’a-t-il pas annoncé une manifestation de "haine et de colère" vendredi contre les chefs de l’opposition ? "J’espère que le peuple d’Iran va continuer à avoir le courage d’exprimer sa soif de liberté et son désir d’avoir un gouvernement représentatif", a dit Obama.
Le pari de la démocratie contre l’islamisme radical : les Américains ont fait savoir qu’ils étudiaient les modèles existants où une alliance entre civils et militaires a mis fin aux dictatures
Car le Président américain fait le pari de la démocratie contre l’islamisme radical. Les Américains ont fait savoir qu’ils étudiaient les modèles existants comme aux Philippines, où une alliance entre civils et militaires a mis fin à la dictature corrompue de Marcos. Comme au Chili, où la pression populaire a forcé Pinochet à organiser un référendum qui a été le début d’un processus électoral démocratique réussi dans un pays considéré comme la pire dictature. En Corée du Sud, des manifestations ont renversé la dictature militaire qui a dû se résoudre à organiser des élections. Evidemment Washington pense également aux transitions intervenues en Europe centrale, sous l’influence de Solidarnosc et en Tchécoslovaquie sous la houlette de Vaclav Havel. Ce postcommunisme rejoindrait-il le post-islamisme analysé par Olivier Roy : « Si l’on regarde ceux qui ont lancé le mouvement, il est évident qu’il s’agit d’une génération post-islamiste. Les grands mouvements révolutionnaires des années 1970 et 1980, pour eux c’est de l’histoire ancienne, celles de leurs parents. Cette nouvelle génération ne s’intéresse pas à l’idéologie : les slogans sont tous pragmatiques et concrets ("dégage", "erhal") ; il ne font pas appel à l’islam comme leurs prédécesseurs le faisaient en Algérie à la fin des années 1980. Ils expriment avant tout un rejet des dictatures corrompues et une demande de démocratie. Cela ne veut évidemment pas dire que les manifestants sont laïcs, mais simplement qu’ils ne voient pas dans l’islam une idéologie politique à même de créer un ordre meilleur : ils sont bien dans un espace politique séculier. Et il en va de même pour les autres idéologies : ils sont nationalistes (voir les drapeaux agités) mais ne prônent pas le nationalisme. Plus originale est la mise en sourdine des théories du complot : les Etats-Unis et Israël (ou la France en Tunisie, qui a pourtant soutenu Ben Ali jusqu’au bout) ne sont pas désignés comme la cause des malheur du monde arabe ».
Partout c’est la même peur : "La levée de l’état d’urgence interviendra avant la fin du mois parallèlement à l’annonce de plusieurs décisions ", a annoncé le premier ministre algérien
D’autres manifestations s’annoncent pour les prochains jours, principalement en Algérie où la Coordination nationale pour le changement démocratique organise une nouvelle "marche pacifique" ce samedi. Partout c’est la même peur : "La levée de l’état d’urgence interviendra avant la fin du mois parallèlement à l’annonce de plusieurs décisions concernant le logement, l’emploi et la gestion de l’Administration", a souligné le premier ministre algérien. "Nous vivons une sorte de moment démocratique panarabe", estime Shadi Hamid, directeur de recherche du Centre Brookings de Doha, au Qatar. "Pour les mouvements d’opposition, la question du jour est un peu : ’si pas maintenant, quand ?’". "Les oppositions arabes utilisent le modèle égyptien comme message disant que tout est possible. Puis ils l’interprètent dans leur contexte local".