Chers colons,
« Chers » dans son sens le plus littéral.
Ce mot peut enfin être expliqué clairement, sans hypocrisie, sans « si » et sans « mais ».
Nous avons payé des milliards de shekels pour vous installer dans la bande de Gaza. Nous avons payé des milliards pour vous y maintenir, et la plupart d’entre vous y ont vécu à nos frais. Nous avons payé des milliards pour vous défendre, et des dizaines de soldats, hommes et femmes, ont perdu la vie en le faisant. Maintenant nous allons payer des milliards (huit ? dix ? douze ?) pour vous en faire partir avec de généreuses compensations.
Mais tout cela ne suffit pas. Vous criez encore. Vous voulez encore nous voler. Nous vous devons encore plus, toujours plus. De vastes étendues du pays, de préférence en bord de mer, doivent vous être réservées, pour vous réinstaller « en communautés entières ». Ainsi vous pourrez vivre à part. Ainsi vous pourrez avoir vos propres écoles. Ainsi vous pourrez être rémunérés par le gouvernement comme employés du conseil local, du ministère de l’Education et du ministère de la Défense.
Je ne sais pas si le livre Guinness des Records décerne un titre pour les champions de l’impertinence, du culot, de l’impudence - en bref , le bon vieux chutzpah juif. Le cas échéant, vous le gagneriez haut la main. Dans le passé, nous vous avons donné à chacun pas moins d’une somptueuse villa pour presque rien, ainsi que des moyens d’existence, des terres et de l’eau ; aujourd’hui il semble que nous vous devons tout. Vous avez le droit d’utiliser l’argent dont ont besoin les malades, les vieillards, les handicapés, les enfants, les chômeurs. Parce que vous êtes les meilleurs parmi les meilleurs. Parce que vous portez la barbe du Messie. Parce que vous avez été personnellement choisis par Dieu.
J’aurais pu avoir une certaine sympathie pour ce qui vous arrive, si vous aviez prononcé ne serait-ce qu’un mot de compassion pour les habitants des 1500 maisons palestiniennes détruites à cause de vous - un nombre supérieur à celui des maisons de colons qui sont détruites actuellement. Si vous aviez exprimé quelque compassion pour les enfants qui ont été chassés de leurs maisons en une demi-heure, sans compensation, sans hôtel et sans psychologue. Pour les milliers d’arbres déracinés afin d’assurer votre « sécurité ».
Comme l’a dit le bon rabbin Hillel il y a 2000 ans, quand il a vu le crâne flotter à la surface de la rivière : « Parce que vous avez noyé les autres, vous serez noyés... »
Et s’il vous plait, ne l’oubliez pas : la note n’a pas été payée par « l’Etat », un organisme anonyme, mais par moi et par les lecteurs israéliens de cet article, de nos propres poches.
Au Conseil Yesha, shalom —
Ça y est. Le bluff est fini. La bulle a éclaté.
Depuis maintenant des mois, vous nous avez terrorisés. Vous nous avez bombardés de chiffres fantaisistes. Cent mille manifestants. Cent cinquante mille. « Au total, nous avons mobilisé deux millions de personnes. » C’est-à-dire presque 40% des Juifs israéliens.
Et vous nous avez dit : vous n’avez encore rien vu. Le moment venu, ils seront des centaines de milliers à marcher sur Goush Katif. Des dizaines de milliers de soldats et d’officiers refuseront d’obéir. Toutes les routes du pays seront bloquées. L’Etat sera paralysé. Le peuple entier se soulèvera et s’opposera aux projets diaboliques de cet homme - cet homme tout seul - qui veut expulser les rédempteurs de la terre de la bande de Gaza.
Et que s’est-il passé ? Le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. Pas une seule route n’a été bloquée. Une poignée de soldats seulement ont refusé d’obéir aux ordres - beaucoup moins que les objecteurs de conscience du camp de la paix. Et, contrairement à eux, pas un seul n’a risqué la prison pour un an ou plus.
Et le plus important est que vous êtes restés seuls. Tout à fait seuls. C’était déjà évident dès le début, dans vos grosses manifestations où il n’y avait presque personne qui ne portait pas la kippa tricotée des Juifs nationaux-religieux ou les grands chapeaux des Juifs repentants. Aucun autre secteur de la population ne s’est joint à vous : ni la gauche, ni le centre, ni la droite laïque, ni même les orthodoxes. Toutes les fanfaronnades que nous avons entendues matin et soir ont éclaté comme des bulles de savon.
Ne reste que la mère de tous les échecs : au lieu de disparaître honteusement de la scène, pour « chercher votre âme » et digérer l’échec, vous restez champions de la chutzpah et continuez exactement comme si rien ne s’était passé.
Aux médias, shalom—
Excusez-moi de m’adresser à vous comme si vous n’étiez qu’une seule personne. En réalité, vous êtes de nombreux journaux, stations de radio, chaînes de télévision, mais je m’adresse à vous comme si vous n’étiez qu’un parce que, durant les dernières semaines, c’est ce que vous étiez. Vous parliez tous comme une seule personne, avec un seul style, une seule terminologie. Et tous, excepté très peu d’entre vous, vous avez trahi votre mission.
Pendant des semaines, vous avez servi de tribune à la propagande des colons. Tous les journaux. Toutes les stations de radio. Toutes les chaînes de télévision. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. La moindre éructation ou le moindre grognement d’un colon était un événement, pour ne pas dire une nouvelle sensationnelle. La voix du camp de la paix était peu entendue, les plus résolus opposants des colons n’étaient pas entendus du tout.
Vous nous avez noyés dans un océan de grandiloquence, des heures et des heures de cris et de larmes, une hystérie simulée et une hystérie réelle. Une suite interminable de scènes soigneusement préparées pour la télévision visant à « frapper les esprits » et à « créer un traumatisme ». Du toit de la forteresse Sanur, MK Aryeh Eldad a commandé des « cages » afin de mettre en scène la soumission tragique des héros, et pas un seul reporter n’a cité le vieux proverbe juif : « Meshinggener, herub fun dach ! » (« Espèce de fou, descends du toit ! ») Au lieu de reportages factuels, vous avez répandu un flot de mots chargés comme « soupirs à fendre l’âme », « terrible douleur », « merveilleuse jeunesse ». (Seulement de temps à autre, une scène réelle se glissait, comme celle de l’enfant priant avec sa mère et qui, se rendant compte que l’évacuation se poursuivait, s’est exclamé avec étonnement : « Maman, ça n’a servi à rien ! »)
Pendant ce temps, où était la presse d’investigation ? Pourquoi ne nous a-t-on pas donné le nombre réel des manifestants ? Quel est ce « Conseil Yesha » ? Qui a élu ses membres ? Quel est son statut juridique ? D’où viennent les millions de dollars gaspillés dans cette campagne ? Pourquoi personne n’a cherché à savoir dans quel terrain ces graines sauvages avaient poussé ni ce qui se passe dans le système d’éducation autonome « religieux d’Etat » qui a produit - à nos frais - ces bandits fanatiques ?
Et pourquoi personne n’a dénoncé la farce de ces prétendus Stalingrad et Massada, dont les héros savaient très bien qu’on n’utiliserait pas de gaz lacrymogènes ou de matraques contre eux et que ceux qui seraient arrêtés seraient libérés le lendemain ?
Au Premier ministre, shalom —
Je m’excuse. Je ne croyais vraiment pas que vous iriez jusqu’au bout dans cette histoire. Mais vous avez fait ce que vous aviez promis de faire, et peu importe pourquoi vous l’avez fait - que ce soit parce que vous n’aviez pas d’autre alternative, parce que vous avez été emporté par votre propre mouvement, ou parce que vous étiez obligé par les Américains de le faire.
Mais votre réel examen de passage ne fait que commencer. Vos actions au cours des prochains jours décideront si vous resterez dans l’histoire à une place honorable ou non.
Un autre Premier ministre, l’homme d’Etat britannique David Lloyd-George, essayant de justifier son désengagement d’Irlande, a parlé de l’impossibilité de sauter au-dessus d’un abîme en deux enjambées. Aujourd’hui, vous êtes exactement dans cette situation. Vous avez commencé votre saut. L’abîme est au-dessous de vous. Si vous vous arrêtez, vous tombez dedans.
Si vous ne vous orientez pas rapidement vers un accord historique avec les Palestiniens, vous réaliserez vous-même la prophétie funeste de Benyamin Netanyahou : une troisième intifada éclatera et la bande de Gaza se transformera en une base pour les tirs de mortiers et de fusées Qassam.
Ce n’est pas le moment de penser aux prochaines élections, de se préoccuper des Landau et Netanyahou, des Likoud A et Likoud B. C’est le moment de prendre de la hauteur et de réaliser la chose historique.
Tel est le défi devant le quel vous êtes, et c’est seulement ce qui décidera si le retrait de Gaza était juste un nouvel épisode sans importance ou un acte historique.
Chers conciliateurs —
Vous êtes encore là, comme les champignons après la pluie. Vous voulez apaiser, amener les esprits à se rencontrer, « réparer les fractures dans le peuple ».
Il n’y a pas de fracture. Au contraire, dans cette affaire le peuple est très uni, d’une façon impressionnante et même incroyable.
Il n’y a aucune « fracture ». Mais une inévitable confrontation entre l’immense majorité de la population et une petite secte séparatiste. S’il était besoin de preuves, les colons eux-mêmes nous les fournissent en demandant des localités séparées en Israël, avec des écoles séparées - séparées même du secteur religieux-sioniste général.
Les Israéliens, presque unanimement, veulent un Etat de droit, un Etat démocratique, où la majorité décide et où les droits des minorités sont respectés. Un Etat sain, libre et rationnel. Un Etat avec des frontières et une Constitution. Un Etat qui appartienne à une humanité progressiste. Un Etat qui respecte toutes les religions mais n’est soumise à aucune.
Contre cet Etat, une secte fanatique a surgi, une secte qui veut établir un Etat différent, un Etat basé sur la foi, nationaliste et raciste, régi par la loi divine telle qu’interprétée par ses rabbins. Un Etat dont la tâche est de conquérir toute la Terre historique d’Israël, d’en hériter, d’en expulser les habitants « étrangers » (c’est-à-dire les Arabes) et de la couvrir de colonies.
Entre ces deux conceptions, il ne peut y avoir de compromis, ni même un semblant de compromis. Parce que tout compromis ira toujours dans la même direction : la reddition de l’Etat d’Israël. Un compromis serait le premier pas vers la liquidation de la démocratie israélienne. L’ambiguïté idéologique est un écran de fumée derrière lequel les forces de destruction sont à l’œuvre. C’est tout le contraire qu’il faut : jeter une lumière brillante, crue, pour que toute personne en Israël comprenne l’enjeu de cette lutte.
Pas de conciliation, mais une mobilisation pour la défense de notre démocratie.
Cher Professeur Yeshayahou Leibowitz, paix à votre âme—
Vous m’avez dit un jour que, quand les disciples du prédicateur musulman Muhammad ibn Abd-al-Wahab ont conquis la Mecque, la première chose qu’ils ont faite a été de démolir la tombe du prophète Muhammad. Afin que les croyants ne sanctifient pas les pierres. Maintenant on affirme que la démolition des synagogues du Goush Katif, construites il y a seulement deux ou trois ans, enfreindraient quelque loi divine.
Avec votre langue acérée et mordante, vous, juif orthodoxe, auriez réduit ces charlatans en cendres - comme vous l’avez fait quand vous avez appelé le Mur occidental « Une discothèque religieuse ».
Vous nous manquez.