L’avis rendu le 9 juillet 2004 par la Cour internationale de Justice est remarquable à maints égards et constitue assurément un motif de satisfaction pour celles et ceux que
la cause palestinienne mobilise. Les quelques lignes qui suivent ont pour objet d’expliquer brièvement les tenants et aboutissants de l’avis en matière de cessation du fait illicite, de réparation et de restitution.
Avant toute chose, il importe de rappeler que la Cour n’a entendu se prononcer qu’au sujet des parties du mur construites - ou projetées de l’être « dans le territoire palestinien
occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est » [1], ainsi que le lui avait demandé l’Assemblée générale. Selon la Cour, ceci signifie qu’elle n’a pas à se prononcer sur les parties du mur (devant être) construites « sur le territoire même d’Israël » [2]. Bien qu’elle ne définisse ni ne délimite ce territoire israélien, la Cour estime cependant que le territoire palestinien occupé se situe entre la Ligne verte convenue lors de l’armistice de 1949 et l’ancienne frontière orientale de la Palestine sous mandat
britannique. Implicitement, la Cour semble donc c o n s i d é r e r qu’Israël n’occupe
pas de territoire palestinien à l’ouest de la Ligne verte (sauf la bande de Gaza bien entendu). Est-ce à dire qu’Israël serait là souverain ? Ne devant pas trancher cette question pour répondre à la question qui lui était posée, la Cour n’en dit rien. Il est toutefois difficile de comprendre l’avis différemment. En toute hypothèse, l’affirmation par la Cour de l’existence du « territoire même d’Israël » semble emporter une limitation géographique du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, ce droit ne pouvant s’exercer que dans les territoires identifiés par la Cour comme étant des territoires palestiniens occupés par Israël.
Aucune conclusion définitive sur ces questions de souveraineté territoriale n’était cependant nécessaire pour
répondre à la question posée par l’Assemblée générale. Ce qu’il importe de constater,
c’est que la Cour ne se prononce pas sur le principe même de la construction d’un Mur de séparation : elle entend seulement énoncer les conséquences juridiques d’une telle construction lorsque celle-ci empiète sur le territoire palestinien occupé, ainsi défini. Dès lors que la structure du Mur a une largeur de 50 à 70 mètres, et parfois plus à certains
endroits, il est cependant clair que le prononcé de la Cour demeure pertinent pour les parties du mur dont le tracé suit la Ligne verte.
Après avoir conclu - pour différents motifs - à la contrariété au droit international de la construction du Mur en territoire palestinien occupé, la Cour affirme logiquement que « la responsabilité (d’Israël) est engagée selon le droit international » [3]. Les conséquences de
cette responsabilité sont examinées par la Cour au cours de cinq brefs paragraphes
(149 à 153). Ceci pourrait donner à penser que ces conséquences, et surtout les développements qu’y consacre la Cour, sont sans grand intérêt. Il n’en est rien.
1.Obligation de respecter le droit
La première obligation qui s’impose à Israël est celle de respecter le droit international
qui l’oblige. La Cour le rappelle sans ambages [4], après avoir identifié aux paragraphes 114 à 137 de l’avis les dispositions du droit international pertinentes. Il faut noter que cette obligation de se conformer au droit existant n’est pas répétée dans le paragraphe 163
de l’avis, qui en constitue le « dispositif ». Il n’y a là aucun oubli : en soi, le fait d’obéir au droit n’est en rien une « conséquence » de la violation du droit constituée par la construction du mur.
L’obligation de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et le droit international humanitaire existe indépendamment de cette construction, et la destruction du Mur ne suffirait pas à elle seule à en assurer le respect. L’édification du mur ne constitue qu’une violation supplémentaire de ces obligations.
2.Cessation
L’obligation de mettre un terme aux violations du droit international résultant de la construction du Mur est en revanche une conséquence juridique spécifique de cette construction. La cessation du fait illicite continu, entendue comme obligation nouvelle découlant de la violation du droit, est bien établie en droit international général. Selon la Cour, la cessation du fait illicite emporte en l’espèce trois conséquences concrètes :
A. Cesser la construction du Mur
Le fait que la Cour traite de la question de la fin de la construction du Mur sous l’’angle de la cessation, plutôt que sous celui de l’obligation de respecter le droit existant, est symptomatique de la conception qu’elle se fait de la nature de l’action israélienne qui occasionne la question posée : le projet israélien est en cours, et il englobe les constructions passées, présentes et à venir. La Cour ne se prononce
donc pas seulement sur les parties du Mur déjà construites, mais aussi sur celles qui sont projetées. Il est cependant difficile de savoir si le simple fait de projeter la construction
d’un tel Mur pourrait, en lui-même et en l’absence de toute réalisation concrète, être considéré comme illicite. L’obligation de cesser les travaux d’édification du mur est inconditionnelle, Israël devant s’exécuter « immédiatement » [5].
B. Démanteler le Mur
C’est au titre de l’obligation de mettre fin au fait illicite que la Cour estime qu’Israël est tenu de démanteler les parties du Mur déjà construites en territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est. Dans ses écrits, la Palestine estimait que le démantèlement du Mur était justifié au titre de la restitution, et non de la cessation. La Cour ne suit pas l’argument palestinien sur ce point, tout en arrivant concrètement à la même exigence. Comment expliquer cette différence entre les prétentions de la Palestine et l’avis de la Cour ?
- © Khalil Abu Arafeh, Al-Quds.
D’un point de vue théorique, la solution retenue par la Cour permet de donner à la notion de cessation la plus grande extension
possible. La différence entre la cessation et la restitution n’est pas toujours facile à faire : remettre à son propriétaire un bien volé, c’est en même temps réparer le dommage sous la forme de la restitution et cesser de commettre un fait illicite. Toutefois, tandis que la cessation suppose l’existence d’un fait illicite continu, la restitution peut encore s’imposer
après que la violation de l’obligation a pris fin. La restitution est une forme de réparation qui consiste à remettre les choses dans leur état antérieur. Ceci peut constituer une réparation incomplète, dès lors que la réparation nécessite que l’on établisse la situation qui aurait existé si le fait illicite n’avait pas été commis, ce qui est autre chose que le rétablissement du statu quo ante.
La Cour n’explique cependant pas pourquoi elle préfère fonder le démantèlement du Mur sur la cessation plutôt que sur la restitution. Deux raisons peuvent être avancées à cet égard.
D’une part, la Cour affirme ainsi clairement le caractère continu des violations du droit international dont Israël est l’auteur. Quand bien même la construction du mur serait achevée, ces violations continueraient d’exister : c’est la présence même du mur, et pas seulement sa construction, qui est dénoncée de cette manière.
D’autre part, fonder le démantèlement du mur sur la cessation plutôt que sur la restitution permet à la Cour d’éviter par avance un certain nombre de difficultés qui auraient autrement pu surgir. Il est inutile de revenir ici sur les exceptions qui existent en droit international en matière de restitution. Ces difficultés sont écartées dès l’instant où le démantèlement du Mur est fondé sur la cessation.
Par ailleurs, et plus fondamentalement, la solution retenue par la Cour permet d’éviter qu’Israël puisse jamais prétendre « acheter » la construction du mur. La restitution n’est en effet qu’une des formes de la réparation du préjudice, l’autre forme étant la compensation. Dès lors que la Cour estime que l’obligation de réparer existe au bénéfice direct des particuliers (cfr. infra), on aurait pu craindre qu’Israël prétende ne plus devoir démanteler les parties du Mur construites après avoir indemnisé les particuliers préjudiciés. Un tel argument serait bien entendu erroné en droit. Il devient tout simplement impossible si le démantèlement est fondé sur la cessation, en lieu et place de la restitution. La Cour était
sans doute consciente du caractère très sensible de la question de l’indemnisation au sein du peuple palestinien, pour lequel accepter de l’argent d’Israël en compensation de dommages subis ou de terres confisquées est considéré comme un acte de trahison vis-à-vis de la cause nationale. En fondant le démantèlement du Mur sur la cessation, plutôt que sur la restitution comme suggéré par la Palestine, la Cour permet donc d’éviter que ne soit entretenu dans le public palestinien une confusion entre, d’une part, la question du démantèlement et de la souveraineté territoriale et, d’autre part, le droit à la réparation des dommages consécutifs à la construction du mur.
C. Abroger la législation relative au Mur
C’est encore la cessation qui explique l’obligation d’Israël d’« abroger immédiatement ou de priver immédiatement d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires » [6] se rapportant au Mur.
Cette obligation ne s’applique pas aux dispositions normatives israéliennes qui ouvrent droit à une indemnisation ou à d’autres formes de réparation au profit de la population palestinienne [7]. Ici encore, la Cour s’écarte des arguments présentés par la Palestine,
qui rattachaient l’obligation d’abroger la législation existante à la restitution, plutôt qu’à la cessation. Nul doute que la Palestine s’était inspirée de la jurisprudence de la Cour dans l’affaire du mandat d’arrêt [8]. Dans cette affaire, la République démocratique du Congo avait obtenu de la Cour qu’elle ordonne à la Belgique, qui avait émis un mandat d’arrêt international contre le ministre congolais des Affaires étrangères, de mettre à néant ce mandat d’arrêt au titre de la réparation, sous forme de restitution. Ceci s’expliquait parce que le ministre en question avait cessé d’exercer ses fonctions au moment du prononcé de la Cour et qu’en conséquence il n’était plus protégé par une immunité de juridiction. Dans l’affaire du Mur, la situation est de ce point de vue différente : le fait illicite commis par Israël est continu et c’est en conséquence la cessation, et non la restitution, qui constitue le fondement de l’obligation d’abroger les actes internes israéliens. Il faut noter que la Cour ne dresse pas une liste précise des lois et règlements devant être retirés par Israël.
3.Réparation et restitution
Selon la Cour, « Israël est dans l’obligation de réparer tous les dommages causés par la construction du Mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est » [9]. L’affirmation est claire ; elle doit être mise en rapport avec d’autres passages de l’avis où la Cour affirme que l’obligation d’Israël existe au profit de « toutes les personnes physiques et morales concernées » [10]. Ceci peut paraître élémentaire. Il n’en est rien : ce n’est pas tant l’affirmation de l’obligation de réparer le dommage causé qui est remarquable que le fait que les particuliers (Palestiniens ou
autres) sont identifiés comme étant les bénéficiaires directs de cette obligation.
Traditionnellement, le droit de la responsabilité internationale établit en effet des liens de créance et de dette entre sujets étatiques, le cas échéant par le biais de la protection
diplomatique,mais non entre sujets étatiques et individus.
On peut penser que la Cour a affirmé le droit des particuliers à obtenir réparation pour éviter d’avoir à se prononcer sur les délicates questions liées au statut étatique de la Palestine.
Ce n’est pas sûr. Quoi qu’il en soit, l’affirmation qui est faite à cet égard paraît conforter un mouvement contemporain de fond au profit des victimes de violations du droit international [11]. Il faut noter que la Cour paraît limiter ce droit à la réparation des préjudices matériels [12], sans s’expliquer sur l’apparente exclusion des préjudices moraux. Il n’est en revanche pas exclu que la Palestine, ou le peuple palestinien, puisse elle(lui)- même réclamer la réparation d’un préjudice, étant une « personne morale ».
On notera enfin que la Cour n’a pas répondu à la demande palestinienne de voir Israël démanteler les colonies de peuplement installées suite à l’édification du Mur.