L’avocat Raji Sourani dirige à Gaza le Centre palestinien des droits de l’homme. Attaché au respect des principes démocratiques, il a déjà été mis en prison par Yasser Arafat pour ses critiques sans concession. Mais, guidé
par les mêmes principes, il a aussi défendu devant les tribunaux l’ancien chef du Hamas Abdelaziz Rantissi.
Luis Lema, Le Temps : Quel premier bilan tirez-vous de ces élections ?
Raji Sourani :
C’est la moisson des péchés. Je dirais que le Hamas doit 40% de son résultat à lui-même, et que le reste est une punition pour ce que l’Autorité palestinienne a fait au cours de ces dernières années. Mais, avant tout, il faut rappeler que ces élections ont été incroyablement
démocratiques. Cela n’a pas de précédent : il n’y a pas eu un seul acte de violence, alors que le scrutin se déroulait au milieu d’une jungle politique, avec des groupes rivaux armés jusqu’aux dents. Les Palestiniens vivent asphyxiés par l’occupation israélienne, 60% n’ont pas d’emploi, 80%
sont au-dessous du seuil de pauvreté, et pourtant ils ont participé de manière massive et ordonnée. Cela montre la force du contrat social qui les unit.
Le Temps :Le résultat final est tout de même le triomphe d’un mouvement considéré comme une organisation terroriste ?
RS :
La démocratie ne peut pas être sélective. Personnellement, le Hamas n’a pas ma préférence et notre Centre [1] a toujours condamné les attaques contre les civils.
Mais prenez l’IRA, en Irlande du Nord. Elle a tué des centaines de civils britanniques, ce qui ne l’a pas empêché ensuite de négocier. Le Hamas n’est pas constitué d’un groupe de fous, ce n’est pas non plus le régime des talibans ou d’Arabie saoudite. Il a une dimension sociale très importante, qui fonctionne de manière très efficace en Cisjordanie et à Gaza.
Européens et Américains vont maintenant être obligés de montrer ce qu’ils défendent : l’installation de la démocratie, ou seulement d’une démocratie de façade ? Honte à eux s’ils ne respectent pas la volonté du peuple palestinien.
Le Temps : Les Palestiniens viennent-ils de planter le dernier clou dans le cercueil
du processus d’Oslo ?
RS :
Dans les faits, il est mort depuis longtemps. Depuis l’assassinat de Yitzhak Rabin, il y a dix ans, les Israéliens n’ont rien négocié, sinon des délais supplémentaires pour mettre en place ce processus.
Lorsque Yasser Arafat était en vie, les Israéliens refusaient de parler avec lui. Ensuite, ils ont refusé de rencontrer Abou Mazen. Maintenant, ils refuseront tout
contact avec le Hamas. C’est un jeu constant.
Le Temps : Le Hamas changera-t-il au contact du pouvoir ?
RS :
Il s’agit d’un mouvement qui a déjà prouvé son pragmatisme. On ne fait pas un pareil score, avec un appareil si bien organisé, si l’on n’est pas capable de faire de la realpolitik. La plupart de leurs dirigeants sont
sérieux, compétents, dévoués. Le Hamas a le potentiel de gérer l’Autorité palestinienne bien mieux que ses prédécesseurs.
Le Temps : Quelle politique pratiquera-t-il ?
RS :
Il va essayer d’influencer la société selon ses convictions, comme tous les partis le feraient, et j’espère qu’il ne parviendra pas à islamiser la société. Mais il peut aussi compter sur ses atouts en exploitant ses
affinités arabes et islamiques. En matière d’emploi, de recherche de soutiens financiers ou d’accès au marché, il a déjà dû approcher certains pays arabes.
Le Temps : Et le Fatah, dans quelle situation se retrouve-t-il ?
RS :
J’espère qu’il saura se ressaisir pour former une opposition forte. Mais il a beaucoup de travail devant lui. Si ses dirigeants n’arrivent pas à
mettre rapidement leur maison en ordre, leur parti risque de sombrer très rapidement, voire tout bonnement de disparaître.