Naji Owdah vit dans le camp de Deheishé. Il
est l’un des principaux coordinateurs du
projet al-Feneiq que soutient, notamment,
le CICP. Il était à Paris en mai
dernier, où PLP l’a rencontré. Deheisheh,
à la lisère de Bethléem, 12.000
habitants. L’un des plus grands des dixneuf
camps de Cisjordanie, avec ceux de
Tulkarem, Jénine, Askar, tandis que l’on
compte près de 100.000 réfugiés dans
ceux de Jabalya et de Rafah, dans la
bande de Gaza. En Cisjordanie, un peu
plus de 180.000 des quelque 688.000
réfugiés vivent dans des camps.
Naji raconte, sobrement, la vie dans le
camp. Celle d’un quotidien insensé,
impossible. Quand dans une famille,
deux fils sont en prison, en Israël, et ne
peuvent assister à l’enterrement de leur
père. Quand une grande partie du travail
du comité populaire du camp consiste à
aider les familles à se nourrir. Quand
les moyens financiers de l’Unrwa se
réduisent alors qu’ils devraient décupler.
Quand se rendre à l’université est
devenu quasiment irréaliste. Quand une
simple visite dans la ville de Bethléem
voisine, pour acheter des glaces aux
enfants, tourne au cauchemar, parce que
les enfants ne supportent plus les provocations
des colons ou des soldats, sont
prêts à y répondre et que, pour les parents,
il ne s’agit plus que de tout faire, au
péril de leur propre vie, pour que le
gamins ne se fassent pas tuer. Quand le
bruit des obus rythme les nuits. Quand
des mères ne connaissent plus que
l’angoisse lorsque l’un de leurs enfants
ne revient pas un jour de manifestation.
Quand toutes les familles ont, ou ont
eu, l’un des leurs, souvent plusieurs, en
prison, pendant de longs mois ou de
longues années. Naji, lui, y a passé dix
ans de sa vie. Mais aussi quand la violence
de l’armée, des bouclages, de la
faim, l’absence de tout projet, l’horizon
limité à l’heure qui suit, nourrissent
chez les adolescents des sentiments
et des traumatismes que les parents ne
peuvent calmer. « Personne ne peut nous
protéger. Ma vraie question, c’est comment
mourir », dira l’un d’eux.
Tout l’intérêt du projet al-Feneq (aussi
nommé Phoenix) est précisément de
donner aux enfants et aux adolescents,
à l’intérieur même du camp, un environnement
de leur âge, fait d’activités
parascolaires, de loisirs et festives. Avec
l’aide du conseil général du Val-de-
Marne, des jeunes de ce département
sont partis à plusieurs reprises à Deheishé,
notamment pour contribuer à la réalisation
d’une fresque murale dans le
centre al-Feneiq. Ces jeunes-là, ceux
des cités d’Orly, se sont mobilisés pour
trouver les moyens matériels de leur
mission, et en sont revenus décidés à
témoigner et à poursuivre. Le film qu’ils
ont réalisé, projeté au CICP, comme à
Orly, montre deux murs. Celui de l’Apartheid
et de l’annexion, un mur d’enfermement
des vies, et celui des adolescents
de Deheishé, peint aux couleurs de
la vie, où les mots « liberté », « indépendance
», « solidarité », s’écrivent en
arabe et en français. Entre rires et chansons,
des jeunes du camp, filles et garçons,
s’étonnent et se réjouissent de ce
moment particulier qui les sort de l’isolement.
Comme une parenthèse d’espoir
au coeur de la guerre.
Isabelle Avran
Une coopération entre le CICP et le centre Phoenix
Le Centre International de Culture
Populaire, créé en 1977, est né
d’un appel à souscription privée.
Constituées en société civile immobilière,
les trois cents personnes qui
possèdent ce lieu ont ainsi permis que
ce projet d’indépendance financière visà-
vis des pouvoirs publiques se réalise.
Attaché à une conception politique de
la solidarité internationale, le CICP
accueille un large panel d’associations
(autour de quatre-vingt, dont l’AFPS,
l’UJFP, les CCIPPP, le CICUP...). Il est
avant tout un lieu ressource pour le
monde associatif militant favorisant
ainsi l’émergence de multiples initiatives. [1]
- Camp de Deheisheh, avril 2005
- © S. Machjaghjolu
Les prémices d’une coopération internationale entre les deux centres
En avril 2005, dans le cadre du Réseau
Relacs (Réseau des lieux associatifs de
création et de solidarité), le CICP s’est
jumelé avec le Centre Al-Feneiq/Phoenix
en Palestine. Pour mettre en pratique
cette coopération, nous avons décidé
d’inviter, conjointement avec l’association
« Entre ici et là-bas », adhérente
du CICP, une délégation de réfugiés
palestiniens de Deheisheh. Cette délégation
était composée de Naji Owdah,
co-directeur du Centre Al-Feneiq, et
de quatre jeunes Palestiniens. Cette
délégation, qui est restée en France du
12 au 20 novembre 2005, en plus des
événements organisés au CICP, a pu
participer à différentes activités organisées
en Île-de-France dans le cadre de
la semaine de la solidarité internationale
(échanges scolaires avec deux
classes de collèges en région parisienne,
rencontre avec un syndicat lycéen et
avec des jeunes du quartier de La Noue
à Bagnolet (93), stage de musique et de danse avec des jeunes d’Orly et de
Choisy (94), participation aux journées
d’échanges sur la solidarité internationale
du Conseil Général du Valde-
Marne,...).
Au CICP, Naji Owdah a pu exprimer
l’importance de cette initiative et
notamment l’échange de compétences
au niveau international de deux structures
autogérées. Les jeunes Palestiniens
ont également pu présenter leurs
conditions de vie dans un camp de
réfugiés et les conséquences de l’occupation.
Une rencontre publique sur
le thème du droit au retour des réfugiés
palestiniens a été co-organisée par
le CICP, le réseau Relacs, le secrétariat
international de la CNT, les CCIPPP,
« Entre Ici et là-bas » et l’AFPS.
La venue de cette délégation a été un
exemple parmi d’autres d’actions
engagées dans ce cadre, provoquant
des échanges à différents niveaux et
tissant des liens très forts. D’autres
associations ou collectifs de la maison
participent à cette coopération,
telle l’association Amorces, pour
l’aide à la recherche de financements
ou le « Collectif contre-culture », dans
l’organisation de soirées de soutien.
Gaël Goere, responsable du CICP
Le Centre Phoenix (« Al Feneiq »)
Le projet du centre Phoenix a débuté en 1997. Il
s’agissait au début d’un projet conjoint avec
l’UNRWA (Agence des Nations unies pour les réfugiés
palestiniens) visant à donner du travail à la population
des camps de réfugiés, particulièrement touchée
par le chômage. Le projet consistait à construire
un lieu où les enfants du camp de Deheisheh (banlieue
de Bethléem) pourraient aussi venir jouer.
Le comité populaire a commencé par choisir un lieu
dans le camp et le délimiter par une grille. Puis il a
envoyé des demandes de subvention au PNUD
(Programme de développement des Nations unies),
aux gouvernements canadien et japonais et à différentes
associations pour avoir l’argent permettant
de construire un mur autour de ce lieu. Le comité populaire
a ensuite obtenu l’accord du PNUD pour la
construction d’une partie de la salle de conférence,
qui a débuté en 1998 avec des travailleurs du camp.
- © S. Machjaghjolu
- Naji Owdah, directeur du Centre Al-Feneiq (Phoenix) dans son bureau à Deheisheh, avril 2005
En 2000, la deuxième Intifada a débuté. L’armée
israélienne a attaqué le camp et le centre Phoenix.
Le mur d’enceinte a été détruit. Les soldats sont
entrés à l’intérieur du bâtiment y détruisant tout ce
qui s’y trouvait, tirant dans les murs. Un des murs du
bâtiment a également été détruit. Le comité populaire
a réparé les dégâts, mais trois mois après les soldats
sont revenus, détruisant murs d’enceinte et intérieur.
Le centre Phoenix est également victime de tirs
venant de la colonie d’Efrat, de l’autre côté de la vallée.
En 2001, l’armée israélienne a occupé le centre
Phoenix, s’en servant comme d’une place stratégique
pour lancer des raids à l’intérieur du camp.
Malgré cela, les habitants du camp ont, à chaque fois,
reconstruit le centre. Des activités s’y déroulent
depuis 2002 et l’inauguration officielle a eu lieu en
juin 2004.
Pour plus de détails sur l’organisation (la gestion
par le comité populaire) et pour une présentation
détaillée du lieu (jardin d’enfants, grande salle de conférence,
cuisine collective, salle informatique, projets
de bibliothèque, de salle de gym...) se rendre sur
le site du réseau des lieux RELACS.
www.reseau-relacs.org