Bitterlemons : On a fait beaucoup de
bruit autour des rencontres entre
Abbas et Olmert. Vont-elles mener à
quelque chose ?
– Ali Jarbawi : Il faut d’abord comprendre
quel est le motif qui pousse à ces réunions.
Le Premier ministre israélien, Olmert, est
très faible ; il est confronté à de nombreux
problèmes internes, avec la prochaine
sortie du rapport Winograd, et au
sein de son gouvernement de coalition.
Il veut quelque chose qui pourra au moins
ralentir sa chute. La seule chose qui
puisse le permettre est de reprendre les
discussions avec les Palestiniens et de
donner l’impression que quelque chose
est en cours, qu’il y a un progrès.
Bitterlemons : Et pour le président palestinien
Mahmoud Abbas ?
– A.J. : C’est la seule voie qui lui soit
ouverte. Il y croit, et pas uniquement au
niveau tactique. Il croit que c’est la seule
façon de parvenir à un accord avec les
Israéliens. Il veut y impliquer les Américains,
il veut impliquer les Israéliens et
il est prêt à discuter. Précédemment il en
a été empêché, d’abord par l’ancien président,
Yasser Arafat, puis par le Hamas.
Il est maintenant sorti de leurs ombres
respectives et il avance à pleine vitesse
pour faire naître ce à quoi il croit.
Bitterlemons : Pourtant, c’est une chose
d’avoir des réunions mais c’en est une autre
d’obtenir des résultats concrets. Pour le
moment on n’a pas vu grand chose...
– A.J. : Au début personne ne pensait
que ces réunions aboutiraient à quoi que
ce soit mais l’idée d’un rassemblement
international à l’automne leur a insufflé
un peu de vie. Les Américains -pour des
raisons qui leur sont propres : l’Irak, l’aspect
régional etc.- veulent qu’il y ait des progrès
sur ce front. Ils savent qu’ils ne pourront
pas résoudre le problème mais ils
veulent au moins donner un élan pour
que la nouvelle administration puisse
poursuivre. Ces réunions vont continuer
jusqu’à la réunion de l’automne et les
Américains veulent qu’elles se focalisent
sur un cadre général afin de donner
quelque chose de tangible à la réunion de
l’automne : un document qui définisse le
cadre pour traiter des questions essentielles
pour le statut final.
Bitterlemons : Mais ces principes n’existent-ils
pas déjà ? Est-il nécessaire d’en reparler ?
– A.J. : Si les parties savent qu’elles n’arriveront
pas à un accord final, elles peuvent
viser un accord intérimaire à la place.
Et cet accord, pour qu’il tienne, au moins
devant le peuple palestinien, le Hamas et
d’autres groupes, doit être présenté dans
un cadre. A plusieurs occasions Abbas
a rejeté un accord intérimaire mais la
seule chose qu’on puisse espérer d’Israël
actuellement c’est un accord intérimaire.
Aussi faut-il donner un cadre à cette solution
qui permette aux gens de comprendre
qu’il ne s’agit que d’une étape parmi de
nombreuses autres.
Bitterlemons : Il semble toujours que nous
soyons simplement revenus à une étape du
processus d’Oslo.
– A.J. : C’est le cas. Les Israéliens ne
sont pas prêts à parler de points spécifiques,
aussi ce cadre sera-t-il extrêmement
général. Il se peut qu’Israël
accepte le principe d’une solution à deux
Etats de même que la viabilité et la contiguïté
de l’Etat palestinien. Il sera fait
mention de ces termes très généraux.
Cependant, les Palestiniens n’ont pas
besoin de cela. Ils ont besoin de points
précis. Quand l’occupation cessera-telle,
quand y aura-t- il un Etat palestinien
et à quoi ressemblera-t-il ? C’est à ces
questions que les Palestiniens veulent
des réponses.
Je ne pense pas que le cadre apportera
ces réponses. A la fin nous découvrirons
que nous n’avançons pas et
qu’Olmert et Abbas ne font que gagner
du temps. Quand nous serons à
l’automne, nous verrons que nous ne
faisons que parler de sujets dont nous
débattions il y a dix ans.
Bitterlemons : Il n’y a donc aucune raison
pour ces réunions si ce n’est que les deux
dirigeants gagnent du temps pour eux-mêmes ?
– A.J. : Ce n’est pas la peine de faire
des généralités sur la façon dont les
choses pourraient un jour paraître, sans
calendrier et sans détails. Olmert le sait
et Abbas aussi. Alors, oui, ils cherchent
à gagner du temps. Mais Abbas est
confronté au problème du Hamas et de
Gaza. Ou il parle au Hamas ou il continue
sur la voie actuelle. Il a refusé de
parler au Hamas aussi a-il besoin d’obtenir,
dans la voie qu’il a choisie, quelque
chose à montrer à son peuple. S’il arrive
à l’automne sans aucun résultat, il sera
dans une situation très difficile.
Bitterlemons : Dans vos déclarations vous
semblez dire que rien de tangible ne sortira
de ces discussions. Quelle option lui resterat-
il alors ?
– A.J. : Je pense qu’Abbas espère obtenir
quelque chose de tangible pour
l’automne. Il espère un cadre général
et, sur le terrain, une solution intérimaire
qui ne portera pas ce nom, une sorte
d’Etat à l’intérieur du Mur, avec un allègement
des points de contrôle et une
amélioration de l’économie. Cela lui donnerait
une base tangible pour décider
d’élections anticipées. Il lui faudra
convaincre les Palestiniens que ces élections
entrent dans un cadre qui mènera
à l’indépendance totale, à la fin absolue de l’occupation et à la création d’un Etat
palestinien. Il pourra alors organiser un
référendum et, avec ce référendum, appeler
à des élections anticipées.
Mais s’il a les mains vides à l’automne,
il se trouvera dans un vacuum. Il n’aura
rien obtenu des Américains ni des Israéliens
et il aura refusé pendant des mois
de parler au Hamas. Il se peut qu’il considère
alors que sa seule option soit de
démissionner.
Bitterlemons : Va-t-il parler au Hamas ?
– A.J. : Jusqu’à la réunion de l’automne,
je pense qu’il va se concentrer sur des discussions
avec Olmert et les Américains. Pour
la première fois, Abbas fait les choses à sa
façon. Quand il était Premier ministre d’Arafat,
il n’était pas libre d’explorer cette voie.
Quand il est devenu président et que le
Hamas a été élu, il ne l’a pas été non plus.
Maintenant, il fait comme il l’entend. Il a
des relations approfondies avec les Américains
et Israël. Il veut se concilier les deux
côtés afin d’obtenir quelque chose d’eux.
Cela a toujours été sa tactique et je crois
qu’il mérite qu’on lui laisse sa chance.
Je ne crois pas qu’il obtiendra quoi que ce
soit de plus que ce qu’Arafat s’était vu offrir
en 2000. A ce moment là, lui aussi, avec
Arafat, avait refusé cette offre. Je crois qu’il
aura moins que cela maintenant, à supposer
qu’il obtienne quelque chose. La
question qui se pose maintenant est celle
ci : est-il à ce point coincé qu’il devra accepter
moins ? Je pense que c’est ce qu’il veut,
mais attendons l’automne pour voir ce qu’il
parvient à obtenir des Israéliens. Je crois
que ce dont lui et Olmert discutent c’est
surtout une solution intérimaire.
Bitterlemons : Ces réunions sont donc très
importantes pour Abbas ?
– A.J. : Très importantes. Il est vraiment
convaincu que les négociations sont le
seul moyen pour obtenir des résultats.
Nous allons voir où cela mène. Je pense
que cela ne mènera à rien de bon pour
les Palestiniens, mais c’est maintenant
qu’il doit y aller.
Ali Jarbawi est professeur de
sciences politiques à l’université de
Birzeit