Une atteinte au « bien-être artistique » : c’est pour ce motif qu’un tribunal israélien a ordonné mercredi à deux Néo-Zélandaises de payer 45 000 shekels (soit un peu plus de 10 000 euros) à trois adolescentes israéliennes après l’annulation d’un concert de la chanteuse Lorde.
Les faits remontent à décembre 2017 : l’artiste néo-zélandaise choisit d’annuler sa représentation prévue en juin 2018 à Tel-Aviv après une campagne de boycott sur les réseaux sociaux lancée par une lettre ouverte signée par deux de ses compatriotes. « Chère Lorde, nous sommes deux jeunes femmes basées à Aotearoa [le nom maori de la Nouvelle-Zélande, ndlr], une Juive et une Palestinienne, écrivaient Justine Sachs et Nadia Abu-Shanab. Aujourd’hui, des millions de personnes s’opposent aux politiques de répression, d’épuration ethnique, de violations des droits de l’homme, d’occupation et d’apartheid du gouvernement israélien. Dans cette lutte, nous croyons que le boycott économique, intellectuel et artistique peut être un moyen effectif de répondre à ces crimes. »
« J’ai reçu un nombre énorme de messages et de lettres, et j’ai beaucoup discuté avec plein de gens aux opinions différentes, et je crois que la bonne décision à ce stade, c’est d’annuler le show », avait ensuite déclaré Lorde dans un communiqué publié par Naranjah, les promoteurs israéliens du spectacle.
Une loi pour contrer le mouvement BDS
Le mois suivant, en janvier, l’ONG Shurat HaDin (Centre juridique d’Israël) portait plainte contre les deux Néo-Zélandaises, au nom de trois adolescentes israéliennes, Shoshana Steinbach, Ayelet Wertzel et Ahuva Frogel, qui avaient acheté leurs billets pour le concert, pour « dommage à leur bien-être artistique ». Elles revendiquaient également « des atteintes à leur honneur en tant qu’israéliennes et juives ».
Il s’agissait du premier usage d’une loi israélienne de 2011 qui autorise les plaintes au civil contre toute personne encourageant le boycott d’Israël. Cette loi a pour but de contrer le mouvement pro-palestinien Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), qui organise depuis une dizaine d’années un boycott de l’Etat d’Israël par divers moyens. Récemment, c’est la chanteuse Lana Del Rey ainsi qu’une quinzaine de têtes d’affiche qui ont refusé de participer au festival Meteor, un « Coachella israélien », sur les hauteurs de la Galilée.
Le jugement contre les deux Néo-Zélandaises a été rendu mercredi par la cour des magistrats de Jérusalem, et inclut 11 000 shekels (2 300 euros environ) de frais juridiques. Mais les plaignantes pourraient ne jamais être dédommagées. D’après le Guardian, des experts juridiques estiment que le jugement ne serait pas applicable sous le droit néo-zélandais : les jeunes femmes n’étaient pas en Israël au moment de la rédaction de la lettre ouverte et n’ont pas participé à la procédure judiciaire. Un porte-parole du ministère néo-zélandais des Affaires étrangères a ainsi estimé que c’était aux tribunaux de son pays d’estimer si le jugement était recevable.
Sachs et Abu-Shanab ont publié un communiqué commun vendredi indiquant qu’elles avaient reçu de nombreux messages leur proposant de les aider financièrement. Elles ont déclaré n’avoir aucune intention de payer, et ont, à la place, lancé un crowdfunding pour aider la Fondation pour la santé mentale de Gaza.
De son côté, l’avocate Nitsana Darshan-Leitner, fondatrice de Shurat HaDin, a déclaré au Jerusalem Post vouloir faire « appliquer cette décision en Nouvelle-Zélande, et pourchasser leurs comptes en banque jusqu’au bout ».