Ayman Odeh est 10 fois l’Israélien que je suis. Pas seulement parce que je suis un immigrant et qu’il est né ici. Ni parce qu’il a une sorte de vision sociologique radiographique et un regard politique au second degré, comme ceux nés dans une minorité intelligente, culturellement avertie et discriminée au sein d’une majorité contente d’elle-même, aux opinions toutes faites.
Ayman Odeh est, en fait, 10 fois l’Israélien qu’est Benjamin Nétanyahou. Il voit juste à travers lui. Et ça, Bibi ne peut pas le supporter.
Le Odeh de 44 ans, qui fut le seul élève musulman d’une école chrétienne dans une ville juive de l’état d’Israël, est aujourd’hui le président du troisième parti politique israélien, la Liste Unifiée, qui a obtenu plus d’un vote sur 10 lors des dernières élections.
Alors que Nétanyahou, vieillissant sous nos yeux, cherche avec un désespoir croissant à compenser le soutien électoral en train de s’effriter par un racisme non dissimulé, le pragmatisme perspicace de Odeh - autrefois le trait distinctif des hommes politiques israéliens couronnés de succès - est en train de rendre dingue le Premier ministre trempé de sueur.
La force croissante de la Liste Unifiée, dont la plupart des dirigeants et des électeurs sont des citoyens palestiniens, a été un élément déterminant dans le refus à Nétanyahou d’une majorité à la Knesset, quelque chose dont il n’avait pas fait l’expérience depuis Noël dernier.
Bibi a fait de son mieux – qui, dans son cas, est aussi son pire – pour pomper la haine de Odeh et de la Liste Unifiée afin de la transformer en or. Pourtant, jusqu’à aujourd’hui, l’illustre alchimie du Premier ministre part à la dérive sur le terrain du pétard mouillé.
Et quand Bibi est sous pression, Bibi fait des erreurs. Et, en grande partie grâce à Ayman Odeh, Bibi est sous une pression qu’il n’a jamais connue.
Prenez dimanche, par exemple.
Nétanyahou, a appelé à un « rassemblement d’urgence » du Likoud pour le mettre en garde contre les dangers d’une Liste Unifiée qui jouerait un rôle quelconque dans la direction politique. Mentant effrontément, Nétanyahou a décrit ce parti, et par conséquent ses électeurs, de la sorte :
A l’heure exacte où nous étions en guerre, où nous étions attaqués par des roquettes, où nos citoyens étaient dans les abris et où nos soldats risquaient leur vie, vous meniez des négociations avec ces même députés qui soutiennent le terrorisme et qui veulent anéantir l’état.
Si la Liste Unifiée soutient tacitement un gouvernement centriste minoritaire dirigé par le chef du Kahol Lavan (parti Bleu et Blanc), Benny Gantz, a-t-il continué , les foules « feront la fête à Téhéran, à Ramallah et à Gaza, comme ils font la fête après chaque attaque terroriste. » Un tel gouvernement, a dit Nétanyahou à la foule clairsemée - majoritairement masculine et vieillissante - serait une « attaque terroriste nationale historique contre l’état d’Israël » et une « menace sur notre existence même. »
La réponse de Odeh a été double et a montré combien le dirigeant de la Liste Unifiée savait se glisser intelligemment sous la peau amincie de Nétanyahou. Sur son compte Twitter, il a affiché une photo sur laquelle il est en train de lire à ses enfants en pyjama, blottis autour de lui. « A la fin d’une longue journée », écrit-il en légende, « ces trois menaces existentielles ont besoin d’être mises au lit. »
Le tweet est venu à la suite d’un autre, dans lequel Ayman Odeh a calmement envoyé une pique au coeur de l’héritage terni et déjà en déclin de Nétanyahou féru d’histoire :
Il n’y aura pas d’échangeur d’autoroute Nétanyahou, ni d’Université Nétanyahou. Ce soir, il a scellé son héritage comme un criminel plein d’amertume qui ne sait pas perdre mais qui sait seulement attaquer et provoquer ceux qu’il est censé servir. Nous tous, Arabes et nos partenaires juifs, pousserons un soupir de soulagement le jour où il partira, et nous continuerons à lutter pour la paix, l’égalité, la démocratie et la justice sociale.
En fait, le discours résolument raciste de Nétanyahou est en train d’avoir un effet contraire à ce qu’avait prévu le dirigeant du Likoud.
Nétanyahou a fait allusion à l’intrigue de trahison entre trois anciens chef d’état-major, tous trois dirigeants du parti du Kahol Lavan, et la Liste Unifiée, alors que les combats faisaient rage à Gaza et au sud d’Israël. Alors que Nétanyahou essayait de faire taire les huées qu’il avait lui-même provoquées, il peut avoir réellement redoré la réputation et la crédibilité de Odeh en tant que fonctionnaire – et en tant que citoyen d’Israël à part entière - plutôt qu’en tant que critique négligeable, évitable et révocable.
Du propre aveu de Nétanyahou, Odeh et son collègue de la Liste Unifiée, Ahmed Tibi, ne rencontraient pas le Djihad Islamique et le Hamas, mais trois anciens chefs de l’armée israélienne.
En même temps, comme l’ont démontré les messages de Odeh, l’élément le plus radical de la politique du dirigeant de la Liste Unifiée, c’est sa volonté de sortir du cadre du radicalisme dogmatique.
Il a gagné un large respect en se faisant le défenseur des préoccupations urgentes des Arabes israéliens quant à des questions telles que la violence endémique et la prolifération des armes à feu dans les villes et les villages arabes.
Il a aussi ouvert la voie dans une campagne électorale pour lui permettre, en tant que président de la Liste Unifiée, d’exercer les fonctions de premier Arabe à la tête de l’opposition à la Knesset, une fonction qui lui donnerait le droit d’avoir accès aux instructions de sécurité de niveau élevé et le droit de réponse aux discours politiques importants du premier ministre.
Plus important encore, Odeh a déclaré après les élections de septembre, que la fonction de chef de l’opposition est « un tremplin important pour rencontrer le Premier ministre et pour rencontrer les dirigeants dans le monde et leur parler et leur parler de la Loi de l’Etat-Nation », la concrétisation législative des droits par Nétanyahou la plus controversée et la plus raciste. « Enfin, il y aura une opposition. »
Odeh a précisé que l’Israël qu’il envisage est celui d’une coopération dynamique entre Juifs et Arabes et d’une orientation vers l’égalité de tous ses citoyens. Il a, par exemple, appelé le parti Shas ultra orthodoxe des Mizrahim à travailler ensemble sur les questions sociales qui affectent leurs électorats respectifs.
Son message a manifestement trouvé un écho auprès d’un nombre croissant d’Israéliens juifs.
Déjà en 2015, l’ancien président de la Knesset, Avraham Burg, l’une des personnalités dirigeantes du Parti travailliste, a fait connaître son soutien à la Liste Unifiée. A l’époque, Burg a avancé une prédiction pour l’avenir :
Nous assisterons à un nouveau paysage pour l’ensemble du camp démocratique en Israël, dans lequel les Arabes israéliens ne seront plus exclus comme des parias.
Ayman Odeh ? Il est 10 fois l’Israélien qu’est Bibi. Un jour, il est possible qu’il soit 10 fois le Premier ministre.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers