- Un Palestinien dans les ruines d’une maison, le 31 août à Gaza. | REUTERS/SUHAIB SALEM
Depuis que les armes se sont tues, le 26 août, dans la bande de Gaza, le gouvernement israélien se trouve confronté à un défi sensible, à la fois judiciaire et politique. Il concerne le comportement des forces armées au cours des cinquante jours de l’opération « Bordure protectrice », et plus généralement dans les territoires palestiniens. Alors que la droite nationaliste considère que le gouvernement n’a pas poussé assez loin sa supériorité militaire sur le Hamas, le débat s’engage sur le prix humain et moral de cet engagement.
L’union sacrée, scellée sous les roquettes du Hamas, ne semble plus d’actualité. Ici et là, des voix se font entendre pour réveiller un vieux débat : l’incapacité de l’armée à se policer, c’est-à-dire à conduire des enquêtes rigoureuses sur les abus dont elle est soupçonnée. La première salve a été adressée, lundi 8 septembre, par deux organisations non gouvernementales israéliennes de renom, B’Tselem et Yesh Din. Elles refusent dorénavant de collaborer avec la justice militaire, considérée comme partiale.
Mercredi, les forces armées prétendaient donner des gages de transparence en annonçant l’ouverture de 99 enquêtes – dont cinq à caractère criminel – concernant des actes commis pendant « Bordure protectrice ». La guerre a fait 2 127 morts côté palestinien, dont 616 combattants identifiés, selon Israël. Parmi les épisodes soumis à une investigation figure le bombardement d’une école à Beit Hanoun, le 24 juillet, dans lequel quinze Palestiniens sont morts.
- A Beit Hanun, le 18 août. | AFP/THOMAS COEX
Ce drame a également retenu l’attention de Human Rights Watch (HRW). Jeudi, l’ONG a accusé Israël de « crimes de guerre ». HRW a publié un rapport sur les bombardements militaires visant l’enceinte ou les abords de trois écoles dans la bande de Gaza, ouvertes aux réfugiés sous l’égide des Nations unies. Au total, 45 personnes, dont 17 enfants, sont mortes lors de ces trois épisodes, les 23 et 30 juillet, puis le 3 août. Les forces armées israéliennes ont expliqué que les combattants du Hamas entreposaient leurs armes dans des bâtiments civils et s’en servaient comme bases de tir.
Le rapport de HRW pourrait inspirer l’Autorité palestinienne, si elle décidait de mettre ses menaces judiciaires à exécution. Son président, Mahmoud Abbas, a affiché son intention de ratifier le Statut de Rome, fondateur de la Cour pénale internationale – et donc de réclamer des poursuites contre Israël – si les négociations sur la reconnaissance de l’Etat palestinien dans les frontières de 1967 n’aboutissaient pas dans les trois ans.
Lettre retentissante de l’Unité 8200
La semaine s’est achevée par la publication, vendredi, d’une lettre retentissante provenant de l’Unité 8200, l’une des fiertés militaires d’Israël, spécialisée dans le renseignement. Quarante-trois réservistes, dont dix officiers, ont exprimé leur refus de participer à toute action qui « porterait atteinte à la population palestinienne » en Cisjordanie. Le document accuse l’état-major de détourner l’Unité 8 200 de sa mission première, la sécurité du pays, pour organiser la surveillance généralisée et intrusive de la société palestinienne. Les signatures ont été rassemblées pendant un an. L’initiative n’est donc pas liée à l’opération « Bordure protectrice ».
A l’instar de la NSA américaine, l’Unité 8 200 est chargée de stocker et de traiter de vastes quantités de données électroniques, d’écoutes et d’imageries satellite. Elle fournit la matière première pour toutes les opérations militaires. Mais l’unité sert aussi pour le renseignement classique dans les territoires palestiniens. Elle représente également un réservoir de talents pour le secteur des nouvelles technologies.
- Benyamin Nétanyahou entouré du chef d’état-major de l’armée israélienne Benny Gantz et du ministre de la défense Moshé Yaalon, le 27 août à Jérusalem. | REUTERS/NIR ELIAS
Au nom de la morale et de leur conscience, les signataires expliquent que les renseignements collectés par l’unité « portent atteinte à des innocents ». « Ils sont utilisés à des fins de persécution politique et dans le but de susciter des divisions dans la société palestinienne, en recrutant des collaborateurs et en braquant des parties de la société palestinienne contre elle-même », écrivent les auteurs. Ils citent notamment l’utilisation d’informations sur les préférences sexuelles, les infidélités ou les situations financières pour exercer des pressions sur des individus.
Dans un communiqué, l’armée a écarté l’existence des pratiques mentionnées dans la lettre. « Se tourner immédiatement vers la presse au lieu de ses officiers ou des autorités compétentes éveille le soupçon ainsi que des doutes sur le sérieux des affirmations », est-il expliqué.
Tel n’est pas du tout l’avis de Yehuda Shaul. Le fondateur de Breaking the Silence – organisation rassemblant les témoignages de soldats sur leurs missions à Gaza et en Cisjordanie – ne prend pas position sur le refus de servir. Mais il considère que le message des réservistes est « très important ». « Pendant des années, dit-il, on leur a dit qu’ils pouvaient dormir tranquilles, qu’ils n’avaient pas de responsabilité directe dans ce qui advenait, car ils n’avaient pas le doigt sur la gâchette. Or ce n’est pas vrai. Ce qu’on leur demande de faire pose la question du fonctionnement de l’occupation et de la nécessité de rendre des comptes. »