C’est à Al-Aroub, dans la maison familiale, que nous rencontrons Alaa. Ce garçon de 14 ans a beau faire partie des enfants les plus jeunes que nous avons interviewés, il est celui qui cherche à paraître le plus vieux et le moins ébranlé par les deux mois qu’il a passés en prison. Arrêté le 21 novembre dernier alors qu’il se rendait à l’école avec ses amis, Alaa a été accusé d’avoir jeté des pierres sur la base des témoignages de quatre des soldats venus l’interpeller ce jour-là.
Sans prévenir sa famille, qui croit qu’Alaa est à l’école, les soldats l’emmènent à la colonie d’Etzion pour lui faire passer un interrogatoire. Avant même son arrivée sur place, les premiers coups tombent. Alaa compte parmi les 82 % d’enfants palestiniens qui subissent des violences physiques pendant les interrogatoires, selon l’UNICEF. Les militaires lui présentent un acte d’accusation rédigé en hébreu, qu’il n’est pas capable de lire, et continuent de lui répéter qu’il a jeté des pierres. L’adolescent persévère et nie : « Ils m’ont aussi demandé si je connaissais les autres enfants accusés en me montrant des photos. Je leur ai répondu que je ne connaissais personne, que je me contentais d’aller à l’école et de rentrer chez moi. »
L’école en prison
Quand on voit la fierté qu’affiche Alaa durant notre entrevue, on devine que l’adolescent a dû faire preuve d’une détermination a toute épreuve face aux enquêteurs israéliens. Nous n’avons aucun mal à comprendre qu’avec son keffieh enroulé autour du cou et son regard soutenu, il a tout à fait conscience du combat pour la liberté mené par son peuple. Et pour cause : il vit dans le camp de réfugiés d’Al-Aroub qui est l’une des zones les plus pauvres de Cisjordanie. Exilée ici en 1948, sa famille fait partie de ceux qui habitent depuis plusieurs générations ce campement de fortune, devenu au fil des années une petite ville à part entière laissée à la merci des incursions militaires israéliennes quotidiennes.
Pourtant, Alaa reste un enfant de 14 ans comme les autres malgré le masque qu’il tente d’afficher. Il aime le football, soutient l’équipe du FC Barcelona et aspire à mener une vie normale. Pendant notre interview, il nous parle beaucoup de l’école, ainsi que des cours d’anglais et de mathématiques dispensés en prison par une enseignante palestinienne. Néanmoins, lorsqu’il est revenu à son école d’Al-Aroub après sa libération le 4 janvier, l’adolescent a du refaire les deux mois de cours qu’il avait manqués. Sans que cela ne soit suffisant pour qu’il puisse rattraper son retard.
Insécurité permanente
L’éducation en prison n’est pas chose facile. Le nombre d’enseignants est insuffisant et les matières se réduisent souvent aux mathématiques et à l’arabe, ou l’anglais comme témoigne Alaa. Les prisons ne sont pas coordonnées avec le ministère de l’Éducation palestinien, si bien que les détenus ne peuvent pas suivre un cursus approprié. Les jeunes filles emprisonnées n’ont, elles, pas accès à l’éducation. Cette rupture du cursus scolaire a des conséquences néfastes sur l’avenir des jeunes palestiniens. À partir de 70 jours d’absence à l’école, les enfants doivent redoubler ; beaucoup se déscolarisent par découragement ou parce qu’ils ne supportent plus l’autorité et ne sont plus capables de se soumettre aux règles strictes de l’institution. Enfin, certains n’arrivent tout simplement plus à se concentrer après le traumatisme subi pendant leur incarcération.
Au bout de sept audiences en cour militaire de justice, Alaa, éreinté par les allers-retours incessants entre la prison et le tribunal, décide d’accepter la proposition de son avocat de négocier sa peine. S’il avait jusque-là refusé d’avouer les faits qui lui étaient reprochés, l’adolescent voit sa ténacité mise à mal par l’entêtement d’un système carcéral arbitraire. « La prison ne m’a pas changé », affirme l’adolescent qui avoue malgré tout redouter un nouvel emprisonnement : « J’ai peur d’être à nouveau arrêté, pas parce que j’ai peur des soldats, mais parce que j’ai peur d’être une nouvelle fois mis en prison. »
Anna Demontis et Alice Garcia
NB : Dans la vidéo, Alaa parle de l’UNRWA, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Cet organisme, créé en 1949, apporte une assistance et des services aux réfugiés palestiniens et gère les camps en Palestine et au Proche-Orient. Mais par manque de moyens, l’UNRWA a totalement délaissé certaines zones, dont le camp d’Al-Aroub.
Détention des mineurs palestiniens : 5 associations interpellent l’ONU
Début mai, Israël a été examiné par le Comité contre la Torture des Nations unies (CAT), qui contrôle l’application de la Convention contre la torture par ses États parties. À cet égard, la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la torture (ACAT), la Ligue des droits de l’Homme (LDH), l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) et le Yes Theatre, avec le soutien d’Addameer, Defense for Children International Palestine et La Voix de l’Enfant, ont soumis un rapport alternatif au Comité. Ce rapport souligne les violations des droits de l’Homme, et en particulier de la Convention des Nations unies contre la torture, commises par Israël à l’égard des mineurs palestiniens arrêtés et détenus. Il s’inscrit dans la campagne sur les prisonniers palestiniens initiée par le groupe de travail "droits de l’Homme" de la Plateforme Palestine (constitué de l’ACAT, l’AFPS, la LDH), dont le documentaire « Palestine : la case prison », soutenu par Amnesty International, fait partie.
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