La presse française, à de rares exceptions, semble partir d’un postulat : Ariel Sharon
aurait changé d’option politique ces deux dernières années et aurait été à la fois
« l’homme de la paix » salué comme tel par George W. Bush, et le seul capable de faire
accepter à la société israélienne de « douloureuses concessions territoriales ». Une telle
conception -qui par ailleurs néglige le caractère incontournable du droit- est-elle bien
raisonnable ?
Dans une relative unanimité, les chancelleries ont voulu saluer, avec le redéploiement de la
bande de Gaza et en dépit de l’accélération de la colonisation de la Cisjordanie, le « courage »
et la « clairvoyance » d’Ariel Sharon.
Probablement la mémoire palestinienne retiendra-t-il d’abord les meurtrières opérations
contre les fedayins menées par l’Unité 101 dirigée par Ariel Sharon dès 1953, à commencer
par les quelque 40 maisons dynamitées dans le village de Qibiya en Cisjordanie, causant la
mort de 69 Palestiniens retrouvés sous les décombres ; de même que l’écrasement criminel de
la résistance palestinienne dans les camps de réfugiés de la bande de Gaza dans les années
1971 et 1972 ; de même que l’intensification sans précédent de la colonisation des territoires
palestiniens occupés par le ministre de l’Agriculture et du gouvernement Likoud à partir de
1977 ; de même que l’invasion israélienne du Liban en 1982 et les bombardements de la
population civile libanaise et palestinienne de Beyrouth ; de même que le massacre de camps
de réfugiés de Sabra et Chatila par ses alliés des Phalanges libanaises, sous la contrôle des
forces armées israéliennes, au point que ces massacres seront suivis du limogeage d’Ariel
Sharon, alors ministre de la Défense. Probablement retiendra-t-elle aussi la provocation de
septembre 2000 sur l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem, la terrible répression de l’Intifada
al-Aqsa, la destruction des institutions palestiniennes, l’offensive « Remparts » du printemps
2002, le siège des villes, des villages et des camps de réfugiés, singulièrement le siège de
Jénine, et celui de la Muqata’a et du Président Yasser Arafat, comme la construction du mur
de l’annexion en Cisjordanie, malgré la condamnation de la Cour internationale de Justice.
Le redéploiement de la bande de Gaza aurait-il marqué un tournant décisif, prélude à d’autres
retraits ? Sans doute Ariel Sharon a-t-il été contraint de faire un constat : la répression n’a su
venir à bout de la résistance du peuple palestinien, ni de son exigence de mise en oeuvre de
son droit fondamental à l’autodétermination. Certes, l’évacuation des colonies de la bande de
Gaza a constitué une première. Mais comment y lire le début du respect du droit
international ? Dov Weisglass l’avait en son temps précisé : totalement unilatéral, « le
désengagement représente le formol. Il fournit la quantité nécessaire de cette solution pour
éviter un processus politique avec les Palestiniens ». Focalisant l’attention internationale sur
Gaza, il avait pour objectif de retarder d’autant toute négociation sur la création d’un Etat
palestinien. Et, parallèlement, de poursuivre la colonisation de la Cisjordanie et en particulier
de Jérusalem, dans une perspective d’annexion de la moitié de ce territoire occupé, avec le
soutien des Etats-Unis.
Le nombre de colons dépasse aujourd’hui 436 000 : 190 000 à Jérusalem et 246 000 dans le
reste de la Cisjordanie. Seuls 8 475 colons ont été évacués de la bande de Gaza et de quelques
colonies de la région de Jénine, tandis que dans la même période, la population des colons de
Cisjordanie a augmenté de 15.800 Selon un rapport du Bureau central de statistiques
israéliens, la construction d’habitations dans les colonies en Cisjordanie a augmenté de 83 %
durant le premier trimestre 2005 (avec 564 maisons, contre 308 en 2004), alors qu’elle
diminuait de 25 % en Israël.
Cette perspective demeure aujourd’hui celle des alliés d’Ariel Sharon au sein de son parti,
lequel demeure largement en tête aujourd’hui dans les sondages à quelques semaines des
élections du 28 mars. Pour Ehoud Olmert, Premier ministre d’Israël par intérim et probable
chef de file du parti Kadima pour les élections, il s’agit de fixer unilatéralement les frontières
de l’Etat, avec le maximum de terres et le minimum de Palestiniens. Lors d’une récente
réunion de Kadima, le député Ronnie Bar-On, l’un de ses dirigeants, n’a pas hésité à le
réaffirmer : "Les frontières définitives d’Israël engloberont l’ensemble de Jérusalem, des
blocs d’implantations, notamment Ariel, Goush Etzion et Ma’ale Adoumim", tandis que la
plate-forme de Kadima rejette "catégoriquement" le "droit au retour" des réfugiés
palestiniens. C’est dans ce cadre que les actuels dirigeants de ce parti conçoivent l’Etat
palestinien dont ils se disent prêts à envisager l’existence : quelques enclaves sans continuité,
sans viabilité, sans Jérusalem, sans pouvoir et sans droits.
Au début du mois, dans la nuit du 1er au 2 janvier, l’armée de l’air israélienne a de nouveau
mené une attaque contre Khan Younès, dans la bande de Gaza, visant un centre culturel du
Fath, le mouvement de Mahmoud Abbas.
De toute évidence, il appartient à la communauté internationale d’intervenir. Pour substituer
la négociation à l’unilatéralisme de la colonisation, le droit international à la force, et de
sérieuses perspectives de paix à la guerre.
Isabelle Avran,
Paris, le 8 janvier 2006.
Supplément à Pour la Palestine N°48 (100) décembre 2005.