COMPTE-RENDU DE LA CONFÉRENCE
LE 29 AVRIL 2004 À PARIS
Sommaire :
Les éléments du débat en droit international
Légalité et légitimité
Les bases historiques
Droit des peuples et mandat
La résolution 181
Les éléments d’un malentendu
L’accord de Genève
Une véritable négociation
Les questions territoriales
L’exercice de la souveraineté
Le droit au retour
Les colonies
Éteindre le contentieux
Conclusion
Le bilan de l’efficacité du droit international conduit
souvent à dresser des constats décourageants. En effet, la
distance entre les « promesses » du droit et ses possibilités effectives amène à se demander si le droit international n’appartient pas aux velléités du passé. En étant
optimiste, on peut croire qu’il n’existe pas encore. Le
projet d’accord de Genève s’inscrit dans cette réflexion.
En effet, à examiner les dispositions de ce texte, on a
l’impression que la paix est à portée de la main et que
des négociateurs de bonne foi peuvent s’appuyer sur les
normes du droit international pour dessiner les contours
d’un accord qui serait satisfaisant pour les deux parties.
Seule la volonté politique serait absente. C’est sous cet
angle que l’on en fera ici le commentaire.
LES ÉLÉMENTS DU DÉBAT EN DROIT INTERNATIONAL
Pour mener l’analyse de ce projet d’un point de vue juridique, un certain nombre de remarques préliminaires sont nécessaires.
La situation actuelle
On ne peut éviter de constater à quel point le contexte est mauvais. C’est un constat que font régulièrement
tous ceux qui luttent pour la Palestine. À chaque étape
de ce combat, il faut bien se rendre à l’évidence : la
situation s’est encore dégradée.
Le constat ne se limite pas aux signaux envoyés par
Ariel Sharon, il découle également du désarroi et parfois de l’incohérence des Palestiniens et surtout de
l’apathie et de la démission croissante de la communauté internationale.
Mais il est essentiel de ne pas focaliser l’attention sur
Ariel Sharon et lui imputer la situation, comme si un
changement de gouvernement en Israël était la clef du
problème. Il est vrai que l’horizon est obstrué par ce personnage et par la brutalité de la politique conduite sous
son gouvernement. Et l’on est tenté d’espérer que si
Ariel Sharon sortait du paysage, une autre formation
politique en Israël serait en mesure de créer un contexte différent. Mais ce serait se tromper d’analyse. La solution ne dépend pas du jeu politique israélien. Il s’agit
d’un problème d’ordre structurel au plus profond de la
société israélienne, d’un certain nombre d’erreurs ou de
manipulations critiquables faites par cette société sur sa
propre situation, sur celle des Palestiniens et sur l’environnement international dans lequel s’est développée
une attitude qui est en réalité commune aux partis de
droite comme aux travaillistes. L’expérience l’a montré.
Les déterminants d’un changement réel sont dans les
mentalités en Israël et plus encore dans l’attitude de la
communauté internationale qui détient les véritables
clefs du problème.
À cet égard, un élément s’avère capital, il s’agit de la
politique européenne. Il faut faire de la rigueur d’application des accords européens une question centrale.
Dans l’accord d’association Europe-Israël, figure un
article 2 qui conditionne son application au respect des
droits de l’homme et de la démocratie.
À cet égard, l’université Paris VI a pris parti d’une
manière courageuse à propos de sa coopération avec
Israël. Si l’article 2 de l’accord d’association indique, ce
qui est le cas, que toutes les clauses de l’accord sont suspendues au respect des droits de l’homme et de la démocratie, il faut obliger l’Europe à respecter sa parole.
Le contexte international est tel que la légalité a été
engloutie et avec elle les principes, ceux de ce droit
international que nous essayons de récupérer, de
remettre en avant en rappelant quelles sont les normes
générales applicables à la situation. Le droit international, véritable clef de la paix, a été débordé par la question de la légitimité des causes en présence. La légitimité de la demande de sécurité d’Israël a été déconnectée des causes d’insécurité et elle est apparue à beaucoup
comme première par rapport à la légitimité de l’exigence nationale palestinienne. Oubliant que cette sécurité
dépend principalement du retour à une politique juste à
l’égard des Palestiniens, des cercles politiques de plus
en plus nombreux dans le monde entier, ont inversé la
logique réelle. La défense des droits des Palestiniens
est sans cesse soumise à la question préalable de la
sécurité d’Israël, qui est présentée comme prioritaire.
Ainsi est escamoté le fait qu’une partie des Palestiniens
poussés à un désespoir extrême ont basculé dans la violence par un long et croissant déni de leurs droits les
plus fondamentaux.
Nous devons nous efforcer de repositionner le problème en revenant à la question de la légalité parallèlement à celle de la légitimité et en intégrant dans le
débat la question du caractère juif de l’État d’Israël. On
peut considérer que c’est un libre choix du peuple israélien que de vouloir se déclarer comme État juif et certains y voient une liberté légitime. Cependant, les discriminations que cela induit dans une population qui
n’est pas exclusivement composée de Juifs se révèlent
contraires au droit international et sont par conséquent
illégales. Elles remettent gravement en cause le caractère démocratique dont se targue la société israélienne.
Enfin, il faut s’interroger sur l’usage fait de la question
de la « feuille de route ». Son existence a été le grand
argument sur la base duquel Israël et les États-Unis tout
d’abord, mais aussi la plupart des États européens ont
refusé de soutenir clairement la demande d’avis consultatif soumise à la Cour internationale de justice sur la question du mur édifié par Israël en remettant notamment en cause sa compétence sous le prétexte qu’il s’agissait
d’une question politique engagée dans la voie d’une solution à travers la feuille de route. Mais quelle valeur donner à cette feuille de route lorsque l’on connaît l’absence
de volonté politique manifestée pour la faire aboutir à
supposer que son contenu soit considéré comme correspondant à une base acceptable pour la paix ?
La nécessaire remontée aux origines du problème
Quand un problème est mal posé, il ne peut pas être
bien résolu. En l’occurrence, les intéressés eux-mêmes,
les Palestiniens, s’en tiennent souvent à des arguments
sommaires. C’est évidemment le fait aussi de tous ceux
qui soutiennent la cause palestinienne et qui ne sont
pas forcément au fait du contenu fondamental du dossier. Or, pour poser le problème correctement, il faut
remonter aux origines, lesquelles se sont estompées au
fil du temps. Ce qui s’est passé dans le rapport entre ces
deux peuples au moment de la naissance du conflit et le
contexte du droit international d’alors a été oublié. Or, le
rappel de ces événements est indispensable pour
apprécier la situation contemporaine.
Les bases historiques du droit international dans la région
Le droit international n’est pas une science exacte
inscrite dans la nature des choses comme une loi de la
physique. C’est une pratique sociale qui change et évolue constamment. En ce sens, le droit international a connu des mutations considérables entre ce qu’on a
appelé la période classique qui s’échelonne du XVe à la fin du XIXe siècle et la période moderne qui s’est ouverte au XXe siècle. Et il a évolué, notamment, parce qu’il a
tenté de clarifier les bases conduisant au droit pour un peuple d’exister comme État et son droit au respect de
son territoire.
Pendant les premiers siècles, il s’agissait seulement
du résultat des rapports de force. Les États disposaient
des droits régaliens dont celui de faire la guerre et en
particulier la guerre de conquête. C’est ainsi qu’ils se
constituaient ou se modifiaient jusqu’à la conclusion
d’un traité de paix avec l’éventualité d’une nouvelle
guerre. La société internationale a fonctionné ainsi pendant des siècles.
Le XXe siècle constitue un tournant capital qui n’est
d’ailleurs pas achevé et cherche encore à se préciser.
Devant la montée en puissance des armements et les
désastres des deux guerres mondiales, en 1945 on retire
aux États le droit de faire la guerre, au moins dans les
principes définis dans la Charte des Nations unies. Les
États ne disposent plus du droit de faire la guerre, d’occuper un territoire par la force.
Mais le processus avait été ébauché avant 1945 et le
Pacte de la Société des Nations et le Traité de Versailles,
au lendemain de la Première Guerre mondiale, ont
constitué les premières tentatives de formulation et de
garantie des droits des peuples.
La Société des Nations constituera un essai qui a posé
des jalons dont les fruits seront confirmés par la suite.
C’est alors que l’on voit pointer un principe révolutionnaire par rapport au droit antérieur : le droit des peuples
à disposer d’eux-mêmes. Ce nouveau principe de base
est notamment reconnu à travers le système des mandats puisque c’est à cette période que l’on va retirer aux
empires et aux grandes puissances défaites, c’est-à-dire
essentiellement l’Allemagne et l’Empire ottoman, les
territoires qu’ils administraient jusque-là sous forme de
colonies. Ces derniers vont être placés sous mandat de
puissances victorieuses, c’est-à-dire, dans la région, la
France et la Grande-Bretagne.
Mais les États vainqueurs se disent vertueux. Et pour
maintenir une apparence de vertu, en même temps
qu’ils se donnent l’avantage des mandats, ils affirment le
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le mandat
se définit comme une administration provisoire des territoires en attendant que les peuples soient en condition de « disposer d’eux-mêmes ». Mais ce droit d’accéder un jour à la souveraineté est proclamé et garanti.
L’ensemble du peuple palestinien bénéficie de ce droit
par le mandat. Cet élément est capital. Il faut le rappeler
inlassablement car il constitue la base de toute
recherche de solution au problème.
On ne peut pas laisser dire qu’il n’y avait pas de projet
national palestinien à ce moment précis. La situation était
certes chaotique et difficile, mais le peuple palestinien
existait bien comme peuple, soumis jusque-là à l’administration ottomane. D’ailleurs, le droit des peuples lui est
reconnu et garanti par et pendant le mandat britannique.
Le trouble est apporté par le fait que la Grande-Bretagne
dans un jeu très ambigu introduit alors la déclaration
Balfour dans le mandat. Les termes du mandat sont
d’une extrême importance. Il apparaît que la déclaration
Balfour ouvre le droit pour les juifs du monde entier de
venir rejoindre le foyer national juif, installé et reconnu
en Palestine. Mais l’analyse exégétique du texte montre
que les possibilités qu’il ouvre pour les populations
juives sont de la nature de celles que les juristes désignent comme de droit privé. En effet, des individus
appartenant au peuple juif ont le droit de venir rejoindre
ce territoire comme immigrants et un droit à l’immigration est donc ouvert pour une catégorie de population.
Mais il s’agit bien d’un droit de l’ordre du droit privé qui
s’adresse à des individus. Rien dans la déclaration
Balfour ni dans le mandat ne modifie le statut du territoire et du peuple du point de vue du droit public.
Le territoire palestinien est donc un territoire sous
mandat avec un peuple majoritairement composé de
Palestiniens arabes et accessoirement de Juifs bénéficiant d’un droit à l’immigration. Et cet ensemble considéré sans distinction est investi à terme du droit à disposer de lui-même, c’est-à-dire à devenir indépendant
et souverain. La déclaration Balfour ne change donc pas
véritablement le sens de ce droit. Pendant toute la
période du mandat, l’immigration juive qui se poursuit
ne prend pas une ampleur telle qu’elle amènerait un
basculement démographique en faveur d’une majorité
juive en Palestine. Même au moment où, après la
Seconde Guerre mondiale, l’immigration s’est amplifiée,
la Palestine mandataire restait majoritairement arabe.
En 1945 et dans les années qui suivent, l’Europe
prend conscience de l’ampleur et de l’horreur des
crimes dont elle est responsable à l’égard du peuple juif.
Un consensus se forme autour du projet sioniste et la
Grande-Bretagne, incapable d’élaborer les termes d’une
solution entre ces deux impératifs contradictoires : respecter les droits des Palestiniens tels que garantis dans
le Pacte et ouvrir au peuple juif la perspective d’un État,
saisit les Nations unies. Quelles sont alors les bases de
compétences des Nations unies ? À aucun moment, la
Charte ne stipule que l’Assemblée générale a le droit de
créer un État à partir d’un territoire sur lequel vit déjà un
peuple à qui, en outre, on a déjà promis le droit à l’autodétermination. Cela sort complètement de ses compétences. De surcroît, l’Assemblée générale ne dispose
pas de pouvoir contraignant. Il est dit de manière explicite dans la Charte que les résolutions du Conseil de
sécurité ont un caractère obligatoire pour les États
membres, mais rien de tel n’est prévu pour l’Assemblée
générale. Il semble pourtant que dans la mesure où
celle-ci fonctionne de manière plus démocratique que le
Conseil de sécurité, ses résolutions auraient pu, ou du,
être considérées comme obligatoires. Mais c’est une
autre doctrine qui s’est imposée. Au fil des années,
devant l’imprécision de la Charte, il a finalement été
décidé que les recommandations de l’Assemblée générale n’étaient pas contraignantes. Nous avons donc une
Assemblée qui ne dispose d’aucune compétence pour
trancher sur le statut d’un territoire et dont les recommandations ne sont pas contraignantes.
La résolution 181 doit être lue et interprétée dans ce
contexte. L’Assemblée générale sait très bien qu’elle n’a
pas de compétence pour créer un nouvel État, et elle
lance une recommandation qui s’adresse principalement
à la Grande-Bretagne mais aussi à tous les autres États
membres des Nations unies. Cette recommandation
contient un plan de partage qui propose la division du
territoire de la Palestine de manière à créer deux États.
Ce n’est d’ailleurs pas un partage égal car la partie juive
est sensiblement plus importante que la partie arabe
alors que le rapport entre les deux populations est inverse. D’autre part, le même texte propose de réserver à
Jérusalem un statut international.
On espérait régler le problème au moyen de cette
recommandation. À quelle condition pouvait-elle aboutir
à la création d’un État d’Israël ? Évidemment à condition
que le peuple palestinien, titulaire de la souveraineté, du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ait donné son
accord. C’est là le point de défaillance depuis cinquante
ans. Il était normal que les Palestiniens soient révoltés par
cette proposition. Il fallait négocier avec eux et savoir
attendre leur acquiescement, indispensable en droit.
Les éléments centraux qui viennent d’être rappelés
sont évacués dans le débat, dans les commentaires ou
les analyses présentés. Une des erreurs politiques, juridiques et humaines, commises en 1947-1948 a été de ne
donner au Palestiniens aucun motif d’accepter le plan
de partage « proposé » par les Nations unies. Dans la
mesure où il s’agissait de les amputer de la moitié de leur territoire, voire même un peu plus, il aurait fallu
négocier politiquement pour respecter les droits reconnus dans le mandat mais aussi offrir une compensation
économique, une aide administrative pour accompagner
un traumatisme inévitable. Il n’y a rien eu de tout cela. Et
il était juridiquement indispensable d’exiger des
Israéliens de conditionner la proclamation de l’État
d’Israël à l’accord du peuple palestinien, titulaire de la
souveraineté. Rien de tout cela n’a été fait. C’est ainsi qu’a
été déclenchée la Nakba. On a laissé la création d’Israël se
faire sur un malentendu qui s’est développé à plusieurs
niveaux. D’une part, la communauté internationale ne
s’est pas donnée les moyens de faire approuver le plan
de partage par les Palestiniens, en prenant le temps que
cela nécessitait. Mais, d’autre part, il n’y a pas eu de réaction à la mesure de l’attitude d’Israël et de sa volonté
d’expansion territoriale bien au-delà du plan de partage
dès le début. Car les Israéliens n’ont jamais considéré être
liés par les données territoriales de la résolution 181.
Cela s’est manifesté dans leur attitude suite à la première guerre israélo-arabe en 1948-49, par la manière
dont ils ont refusé de se retirer des territoires alors
conquis par la force et par les méthodes employées pour
chasser la population palestinienne. Il s’agit bien, selon
l’expression utilisée par Étienne Balibar, de « nettoyage
ethnique ». L’examen de ce qui s’est passé, notamment à
l’aune des travaux effectués par les nouveaux historiens
israéliens (en dépit du recul, voire de la régression de
certains d’entre eux comme Benny Morris), fait apparaître clairement qu’il y a eu une véritable politique
d’élimination des Palestiniens, une politique qui relève
de crimes de guerre massifs et probablement de crimes
contre l’humanité.
La communauté internationale a réagi de manière très
faible. Lors de la première tentative d’admission à l’ONU
d’Israël, il est clair que cet État ne respecte pas les résolutions des Nations unies sur la Palestine. Dès les premiers mois qui suivent la proclamation de l’État d’Israël,
la Charte de l’ONU est violée et ses résolutions ne sont
pas respectées. « Créé » par une proposition de
l’Assemblée générale, Israël n’est alors pas encore
membre des Nations unies où l’on s’inquiète déjà de le
voir violer la Charte et ses recommandations. Ce sera
une attitude constante. Lors de la première séance d’admission d’Israël à l’ONU, l’Assemblée générale exige des
garanties. Cette mesure peut d’ailleurs sembler superfétatoire puisque l’entrée à l’ONU suppose qu’on en signe
la Charte et donc que l’on en accepte les obligations.
Mais la situation est tellement inattendue, que
l’Assemblée générale demande à Israël de donner toutes
les garanties qu’il acceptera toutes les obligations de la
Charte et celles en découlant, c’est-à-dire les résolutions
déjà prises. Et parmi celles-ci figure la résolution 194
sur le droit au retour. Israël prend alors un engagement
qui ne sera jamais respecté et entre finalement à l’ONU
en 1949. Cela veut dire que cet État s’était engagé sur le
droit au retour. Qui le rappelle aujourd’hui ? Nous
devons le faire si nous voulons ouvrir un cycle nouveau
dans l’approche de ce problème.
Malgré la petite victoire que représente la saisine par
l’Assemblée générale des Nations unies de la Cour de
La Haye pour poser la question de la légalité du mur, il
ne faut pas sous-estimer la dégradation continue du
contexte international sur cette question. On notera
ainsi l’écart entre le vote de cent quarante-deux États,
prêts à condamner le mur à l’Assemblée générale dans une première résolution et la réduction à quatre-vingtdix États lorsque les Palestiniens et les États arabes proposent de confirmer ce point de vue par une demande
d’avis de la Cour. On notera la persistance d’une politique des États-Unis continûment favorable à Israël,
quelles que soient les prétentions inqualifiables de
celui-ci, la faiblesse des réactions européennes et l’absence de politique cohérente du monde arabe.
L’ACCORD DE GENÈVE
À l’issue de ce tableau pessimiste, il ne nous reste
que le discours du droit. C’est sous cet angle que l’on
peut débattre du projet d’accord de Genève et des
autres initiatives qui ont été prises récemment et qui
vont dans le même sens. Certes, elles n’ont pas de véritable réalité politique, puisqu’il s’agit d’initiatives privées, parallèles. Elles ont toutefois eu le mérite de
décrédibiliser les arguments d’Ariel Sharon quand il soutenait qu’il n’y avait pas d’interlocuteur. Elles contrebalancent également les idées reçues sur l’absence de
base pour la paix, l’impossibilité d’une entente ou l’insolubilité du problème. On peut avoir une appréciation
plus ou moins positive sur ce projet d’accord. Mais on ne
peut nier qu’il représente une recherche de solution de
bonne foi. Or, la bonne foi est ce qui a manqué le plus
jusqu’ici. En matière de négociation, c’est une règle du
droit international. La Grande Convention de Vienne sur
le droit des traités du 29 mai 1969 précise notamment
que ces derniers doivent être négociés puis interprétés
« de bonne foi ». On peut estimer que cette condition,
jusque-là absente, a crée une sorte d’euphorie lorsque
l’accord a été publié. Comme si quelque chose d’inhabituel s’était passé entre les différents partenaires.
Il est donc nécessaire d’évaluer cet accord du point
de vue du droit international. Contient-il des points qui
s’écartent des grands principes du droit international ?
N’oublions pas que le droit est la référence autour de
laquelle se joue une paix valable.
Cet accord est l’aboutissement d’une véritable négociation entre les partenaires, un groupe de Palestiniens
et un groupe d’Israéliens, menés respectivement par
Yasser Abed Rabbo et Yossi Beilin, pour ne citer que les
plus connus. Le texte précise à plusieurs reprises qu’il
s’inscrit dans l’application de la Charte des Nations
unies et du droit international. S’agissant d’un document
qui n’est pas achevé, cette référence est importante. Car,
les négociations complémentaires nécessaires devront
s’inscrire dans ce cadre. Cette seconde phase de négociations dont on ne connaît pas le résultat est consacrée
à ces fameuses annexes X dont le texte fait mention à
plusieurs reprises. Elles sont évidemment très importantes, car c’est à travers elles, et la précision qui va en
être donnée, qu’il sera possible d’avoir une idée plus
précise de la manière dont les choses se dessineront.
Que les négociateurs indiquent dans le texte qu’ils
s’appuieraient sur les principes de la Charte des Nations
unies est essentiel. Celle-ci garantit en effet le principe
majeur de l’égalité souveraine de tous les États
membres. Et comme le texte reconnaît d’emblée le
caractère d’État à la Palestine, on s’inscrit vraiment dans
le cadre du droit international. C’est ce cadre de référence qui doit normalement permettre de régler les
questions demeurées en suspens et éviter toute dérive.
Lorsque le processus d’Oslo a été initié, les
Palestiniens étaient priés de négocier, de faire toutes
sortes de concessions alors même qu’ils ne bénéficiaient
pas de la reconnaissance d’État. C’est ainsi qu’il est possible de soutenir qu’ils en ont fait beaucoup trop. Car le
contexte était le suivant : quand vous aurez fait toutes ces concessions et que nous, Israël, avec le parrain américain, aurons parachevé l’ensemble de l’accord, vous
serez alors reconnu comme État. Cela signifie clairement que l’acquisition de la souveraineté était l’espérance,
toujours différée dans sa réalisation, que l’on maintenait
sans qu’elle ait un terme, pour pousser sans cesse les
Palestiniens vers les concessions. Pour ceux qui ont suivi
les négociations de près, cette démarche s’est révélée
insupportable et humiliante.
L’accord de Genève en termine avec cela puisqu’il se
fonde dès l’article 2, §1 sur le principe de la reconnaissance mutuelle des deux États. On déclare préalablement que la Palestine est souveraine avant de décliner
les différents éléments négociés.
Cette disposition est tout à fait déterminante. En
effet, un État souverain dans sa souveraineté peut faire
des concessions. S’il estime que le prix à payer pour la
paix consiste à abandonner tel ou tel élément de ses
revendications, il le fait dans sa souveraineté. Il suffit de
vérifier que ces concessions ne soient pas contraires aux
normes fondamentales du droit international. En
revanche, si les concessions faites dans le texte entamaient des principes fondamentaux, notion qu’il
convient de définir, on pourrait considérer que la
Palestine abuse de la souveraineté qui lui est reconnue
dès l’article 2, §1.
La notion de concession mérite d’être clairement définie. Tous les accords sont fondés sur des transactions.
Mais lorsqu’une négociation dure trop longtemps et que
le rapport de forces est très défavorable, l’un des partenaires pousse son avantage, et dans le cas d’Israël, il le
fait en multipliant les violations de droit. Dès lors, revenir au respect du droit n’est pas une concession. Une
concession, ce sont des avantages que l’on accorde au
partenaire librement sur ce dont on dispose soi-même
en droit. Mais que les Israéliens se retirent des colonies
de peuplement par exemple ne représente en rien une
concession. C’est l’abandon d’une position illégale.
Si l’on se sert du droit international comme grille de
lecture pour aborder l’accord de Genève et en particulier
les questions territoriales, les étapes pour l’exercice plénier de la souveraineté palestinienne, et le point très litigieux du droit au retour, on peut considérer que l’essentiel de ce qui est inscrit pour le moment dans cet accord
est acceptable. Quelques faiblesses sont néanmoins à
souligner. Certains points peuvent s’avérer inquiétants,
s’ils ne sont pas reconsidérés dans les annexes.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes au profit des Palestiniens, sur l’ensemble du territoire de la
Palestine mandataire constitue le point de départ de
tout raisonnement et aurait dû être au coeur de la négociation. Il est vrai que depuis des années et notamment
à partir du démarrage du processus d’Oslo, les
Palestiniens ont envoyé des signes clairs comme quoi ils
accepteraient de se contenter, s’ils étaient reconnus
comme État souverain, des territoires délimités par la
frontière de l’armistice de 1949. Cette concession politique, car c’en est une, n’a été inscrite juridiquement dans
aucun texte jusqu’à présent bien que telle ait été aussi la
ligne défendue par la Palestine devant la Cour internationale de Justice. L’accord de Genève part également de ce postulat, considérant que la frontière reconnue en 1967
mais qui était celle de l’armistice de 1949 est la base du
territoire palestinien.
À partir de ce point de départ, l’accord de Genève
entérine certains échanges territoriaux. Ils apparaissent
comme étant quantitativement à peu près équivalents.
Mais on peut naturellement se poser la question d’un
point de vue qualitatif. Et il est vrai que l’évaluation qualitative est difficile. Plusieurs critères interviennent dans
l’appréciation qualitative d’une terre. Certains reposent
sur la représentation symbolique, d’autres sur la valeur
économique, d’autres encore sur l’intérêt du point de
vue des communications, etc. L’échange proposé paraît,
au regard de ces divers éléments, comme acceptable
même si, côté israélien, il permet le maintien d’un certain nombre de colonies de peuplement. Cela peut sembler douloureux et très injuste. Mais il est nécessaire de
prendre en considération deux facteurs. La nature et les
contraintes de l’adversaire et les besoins du peuple
concerné. Du point de vue de l’adversaire des
Palestiniens dans la négociation, il faut rappeler que tout
gouvernement israélien sera confronté (on le voit bien
avec le projet de retrait de Gaza) à des colons proprement « enragés ». La communauté internationale a malheureusement perdu toute vigilance quant aux droits
des Palestiniens. C’est donc à eux seuls de faire l’appréciation de leur marge de manoeuvre. Qu’Israël récupère,
par une modification du tracé de la frontière, un certain
nombre de colonies de peuplement, on peut y être totalement opposé. Mais s’il y a là un moyen de calmer un
fanatisme qui en se déchaînant peut être un obstacle
insurmontable à la paix, alors, il est de bonne intelligence politique de le faire. Que reçoivent les Palestiniens
en échange ? Ils reçoivent deux morceaux de territoire
de part et d’autre de la partie israélienne située entre la
Cisjordanie et la bande de Gaza.
L’un se trouve sur le flanc est, l’autre représente une
bande assez longue qui jouxte Gaza. Là encore, quand
on connaît la surcharge démographique de Gaza, on
peut estimer que la récupération d’une bande de territoire sur le flanc de Gaza permettrait à la population de
respirer un peu, d’autant plus si viennent s’y ajouter des
réfugiés venant d’ailleurs. Rappelons que quantitativement, ces échanges de territoires sont équivalents.
L’autre point important de la question territoriale est
relatif à Jérusalem. L’Esplanade des Mosquées représente
malgré tout une victoire. Pour le reste, l’accord reconnaît
que Jérusalem est la capitale des deux États. Ainsi ce qui
était une revendication depuis toujours et qui se heurtait
jusqu’à très récemment à un refus, est enfin admis. Et heureusement, dans le projet de Genève, il ne s’agit pas d’un
lointain faubourg nommé Jérusalem au nom d’une communauté urbaine étendue. N’oublions pas qu’à un moment
des négociations, Israël prétendait céder sur ce point et
donner satisfaction aux Palestiniens à propos de Jérusalem
comme capitale arabe, mais après une démonstration à
grand renfort de cartes comme quoi la communauté urbaine s’étendait jusque dans les faubourgs les plus éloignés
de la ville. Le projet d’accord ne réitère pas cette erreur.
Il comporte en revanche un long article 6 qui mêle
avantages et concessions dans l’administration de la
ville mais dont la complexité d’un point de vue pratique
demeure un motif d’inquiétude quant à son application.
Il serait donc sans doute souhaitable que les négociateurs clarifient le statut de Jérusalem dans le détail.
Les modalités d’exercice de la souveraineté sont plus
problématiques. Plusieurs zones d’ombre demeurent.
L’aspect positif est que la Palestine est reconnue immédiatement comme un État souverain. Par contre, à l’article 5 §3, il est explicitement dit que la Palestine doit
être un État démilitarisé. C’est évidemment tout à fait
contraire à la règle fondamentale du droit international,
reconnue par la Charte des Nations unies d’égalité entre
les États. Il existe malheureusement des précédents
dans le monde.
Nous avons un traité qui, s’il devient réalité, sera un
traité de paix. Or, dans un tel traité, la démilitarisation
d’une des parties constitue une position de vaincu militaire. Cela correspond d’ailleurs à la situation militaire
réelle des Palestiniens. Et Israël en tire les conséquences. Cela ne concerne d’ailleurs pas seulement
Israël, mais toutes les grandes puissances qui s’accordent sur ce point : démilitariser la Palestine. Cela vient
de ce que l’argument de la légitimité de la sécurité
d’Israël a pénétré profondément l’opinion publique. Elle
en oublie que cet État est surarmé. Et c’est naturellement lui le plus dangereux. Un sondage de l’Union européenne a montré, en 2004, que les Européens considèrent Israël comme un État dangereux car surarmé. Mais
ce résultat a fait l’objet d’une polémique. Il ne fallait surtout pas le publier. Il était certainement faux. Et
d’ailleurs la formulation prêtait à confusion etc. S’il nous
faut résumer, cela revient à dire que nous n’avons pas le
droit d’exprimer cette association d’idées concernant
Israël : un État surarmé est un État dangereux.
Nous constatons alors une absence de garantie régionale contre l’État surarmé qu’est Israël parallèlement à
l’exigence que la Palestine soit démilitarisée. En soi,
cela est inacceptable car sans fondements politiques ou
juridiques. Mais il est indispensable de lire le texte de
plus près. Qu’ont fait les négociateurs ? Ils ont tout simplement rusé avec les difficultés. C’est le seul moyen
d’arriver à la paix à partir d’une situation aussi tendue
que celle-ci. On en verra d’autres exemples plus loin,
notamment à propos du droit au retour.
Rappelons à quel point les représentations négatives
de chacun des partenaires se sont accumulées. Sur le
terrain, la position des Palestiniens s’est considérablement dégradée.
La ruse est alors a suivante : les Palestiniens ont
accepté pour eux-mêmes le principe d’un État démilitarisé, mais ils bénéficieront d’une forte force de sécurité
ainsi que d’un comité de sécurité bilatéral avec une forte
présence internationale. Là encore, il s’agit d’un obstacle
à la souveraineté puisque l’État sera occupé militairement non plus par Israël mais par le comité de sécurité
trilatéral et la force multinationale. Mais le paradoxe est
que si la pleine souveraineté de l’État n’est pas garantie
du point de vue militaire, sa sécurité l’est en revanche.
En effet, derrière ce débat, la vraie question que l’on
doit se poser est celle du droit de légitime défense de la
Palestine. Malheureusement, elle a été engloutie. Pour
exemple, souvenons-nous des accusations à l’encontre
de Yasser Arafat à l’occasion de « l’affaire du Karina A »,
ce bateau transportant des armes dans les eaux israéliennes à destination de la Palestine. Accusé alors de se
faire livrer des armes, pourquoi n’a-t-il pas répondu, et tous les soutiens de la Palestine avec lui, que comme
tous les peuples en lutte contre un adversaire surarmé,
il avait tout à fait le droit de recevoir des armes. Comme
des enfants pris en faute, les Palestiniens et leurs alliés
ont soutenu que les armes ne leur étaient pas destinées.
Mais Israël reçoit continuellement des livraisons d’armes
en provenance d’un grand nombre de pays et la
Palestine qui est en guerre et est occupée militairement
doit disposer du même droit.
Mais le plus important réside dans les moyens qui
seront mis en oeuvre pour assurer la légitime défense de
la Palestine dans un tel environnement international et
face un État doté d’équipements militaires si puissants.
Et on peut estimer que, dans le projet que nous tentons
d’évaluer, cette légitime défense est garantie par la force
de sécurité et la présence d’une force multinationale
avec le comité de sécurité trilatéral. Toutefois, ces dispositions supposent, et il serait souhaitable que cela
apparaisse clairement dans les annexes, que l’on ose
dire qu’il s’agit d’une démilitarisation provisoire, car tout
État souverain a le droit à terme de retrouver sa capacité militaire. L’Allemagne a été sanctionnée après la guerre. La Japon a été démilitarisé. Mais ces mesures ont été
provisoires. Lorsque la paix est consolidée, il est normal
que les États retrouvent l’intégralité de leurs droits. Le
texte gagnerait à signifier clairement le caractère non
définitif de cette démilitarisation.
Par ailleurs, le texte fait l’impasse (ou alors ne se
contente que d’une brève évocation dans la partie traitant de la sécurité) sur les fondements d’une nouvelle
sécurité régionale, du fait de la supériorité militaire
d’Israël et de la faiblesse des autres États arabes de la région. Ces derniers n’ont en effet pas les moyens de se
mesurer à Israël. Il faudrait donc aller plus loin sur cette
question.
Nous ne pouvons transiger sur le principe du droit au
retour. Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’un droit de
l’homme fondamental, valable au bénéfice de n’importe
qui, n’importe où, à n’importe quel moment car nous
pouvons tous être concernés.
Ce qui est arrivé aux Palestiniens par un détour tragique de leur histoire peut nous arriver demain, tout
comme cela s’est produit pour d’autres peuples, dans les
Balkans, en Afrique, etc. Le fait d’être soudainement
chassé du lieu où l’on vit par des circonstances internationales dramatiques, doit entraîner l’exercice du droit au
retour. Ce droit est affirmé dans les Pactes internationaux
et la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Toute personne exerçant son droit de quitter tout pays, y
compris le sien, a également le droit d’y revenir.
Ce droit a été confirmé au bénéfice des Palestiniens.
Dès 1948, le comte Bernadotte, l’envoyé spécial des
Nations unies, le préconisait. Il a par la suite été affirmé
de manière très ferme par la résolution 194 du 11 décembre 1948. Or, pour rappel, mentionnons qu’Israël a
accepté lors de son admission à l’ONU en 1949 à la fois
sa Charte et l’ensemble de ses résolutions antérieures.
De plus, l’admission d’Israël a été politiquement conditionnée à l’acceptation du caractère international de la
question des réfugiés. Cette condition impliquait également le renoncement israélien à opposer l’article 2,§7 de la Charte selon lequel les États peuvent réserver les
questions relevant de leur compétence nationale et
refuser qu’elles soient traitées par les Nations unies.
(C’est sur ce même article que la France s’était appuyée
afin d’empêcher que la guerre d’Algérie soit considérée
comme une question internationale. La France voulait
en faire une question interne sous le prétexte que
l’Algérie avait le statut de département français.
L’Assemblée générale a refusé en arguant qu’il s’agissait
bien d’une question coloniale et donc d’une question
internationale.) On s’est donc méfié de la position israélienne sur ce point, ce qui explique les conditions qui
viennent d’être évoquées et qui devaient éviter que le
droit au retour ne soit relégué sur le plan de la compétence nationale. Il n’existe donc aucune ambiguïté du
point de vue du droit international.
Mais dès que l’on passe de l’affirmation générale du
principe aux modalités concrètes de son application, on
découvre les ornières qui jalonnent la route. Le droit au
retour est celui de revenir à l’endroit d’où l’on a été chassé. Or, la situation est complexe. Les réfugiés palestiniens ont été chassés du territoire devenu celui d’Israël
d’après le plan de partage de la résolution 181, mais
aussi de la partie destinée à devenir un État palestinien
selon la même résolution, mais qui a été conquise par
Israël en 1948-1949. Ils sont actuellement dispersés dans
le monde entier, aux États-Unis, en Europe et dans les
camps de réfugiés, au Liban et en Jordanie principalement. Certains vivent également dans des camps en
Cisjordanie et à Gaza. Il existe donc une série de territoires d’origine ou d’accueil différents. Le souhait de
« rentrer chez soi » peut s’entendre comme le désir de
revenir en Israël comme défini dans la résolution 181 ou dans les conquêtes israéliennes de 1948, lesquelles sont
illégales. Il peut aussi vouloir dire rentrer, non pas dans
le village d’origine, mais en Palestine, comme collectivité nationale.
Le véritable obstacle, la pierre d’achoppement de la
question du droit au retour sur le territoire d’Israël est le
caractère juif revendiqué par cet État. La symbolique, du
côté de l’État juif, consiste à refuser le retour des réfugiés en raison de leur importance numérique dans l’hypothèse où tous ceux qui en ont été chassés reviendraient en Israël. Se produirait alors un basculement
démographique qui ôte à Israël son caractère d’État juif.
Quant aux Palestiniens, la symbolique réside dans la
revendication de ce droit au retour, affirmé dans les
Pactes internationaux et la Déclaration universelle et
précisé de manière explicite dans la résolution 194. Ils
ne savent pas s’ils l’exerceront vraiment mais ils veulent
pouvoir l’exercer.
Nous avons donc deux symboliques incompatibles.
Face à cette difficulté, certains ont, de manière bien
fallacieuse, annoncé que le droit au retour avait été réglé
dans l’accord de Genève par un renoncement des
Palestiniens. C’est faux. Et c’est très dangereux, car si ce
discours est amplifié, les Palestiniens n’accepteront
jamais l’accord de Genève ni aucun autre accord fondé
sur les mêmes bases. Il n’y a pas sur ce sujet de solution
satisfaisante à 100 % pour les deux parties. D’où l’importance qu’il y a à expliquer clairement les mérites et les
limites de la solution que l’on élabore.
Cette solution est dans certaines modalités d’un droit
par ailleurs reconnu dans son principe. C’est le contenu
de l’article 7. La question est ensuite gérée de la manière suivante : tous les Palestiniens ayant quitté leur terre
bénéficient de l’exercice de leur droit au retour. On leur
demande de faire un choix parmi plusieurs options. Ils
ont un délai de deux ans pour prendre leur décision.
Ils peuvent faire le choix de demeurer à l’endroit où
ils résident aujourd’hui, ce qui implique, de la part des
négociateurs de Genève, des discussions et des accords
parallèles avec les pays où se trouvent actuellement les
réfugiés. Cette option est soumise à l’acceptation par
ces pays que les réfugiés ayant renoncé à leur droit au
retour puissent y établir leur résidence. Deuxième
option : revenir en Palestine, telle qu’elle est définie
par l’accord, c’est-à-dire la Cisjordanie et Gaza, les territoires occupés actuels modifiés par les petits échanges
de territoires signalés précédemment. Ils peuvent aussi,
c’est la troisième option, revenir en Israël même, qui
inclut les territoires de la résolution 181 ainsi que les
conquêtes de 1948. Enfin, quatrième hypothèse, les
réfugiés peuvent s’établir dans des pays tiers, en l’occurrence des pays occidentaux qui accepteraient d’ouvrir leurs frontières sur la base de quotas. Autrement
dit, les négociateurs ont estimé qu’il fallait impliquer un
peu la communauté internationale dans cet accord de
paix, de lui demander de faire un effort pour accompagner son éventuel aboutissement. Elle est donc sollicitée pour la force multinationale et pour des quotas d’accueil. Il est vraisemblable que les jeunes, dans les
camps de réfugiés, ont envie de faire des études, de
tenter leur chance ailleurs et ne seront pas mécontents
de se voir ouvrir tout à coup la possibilité d’aller en
France, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Canada,
en Australie, au Japon, etc.
Tout ceci comporte une inconnue : combien de
Palestiniens, parmi les réfugiés, choisiront d’aller en
Israël ? On dispose malgré tout de quelques éléments.
En partant du principe que les sondages actuellement
effectués dans les camps ne sont évidemment pas
fiables à 100 % et peuvent faire l’objet de manipulations,
il semble que peu de réfugiés souhaitent revenir en
Israël, compte tenu de l’ensemble des données. Quant
aux manipulations, on peut craindre que, dans le pire
des cas, tout soit fait pour faire croire aux réfugiés qu’ils
ont perdu leur droit. Alors, au moment de cocher leur
feuille, ils seront poussés à choisir le retour en Israël.
Les chiffres restent donc la principale inconnue, à
laquelle s’ajoute celle-ci : l’accord laisse à Israël le droit
d’établir combien de réfugiés seront autorisés à revenir
sur son territoire. Il n’y a pas d’autres indications sinon
une phrase d’ailleurs assez mal rédigée qui dit que ce
nombre sera inspiré des quotas ouverts par les pays
tiers. Si ces derniers, dans lesquels ne sont pas inclus les
pays d’accueil déjà existants, font un grand effort et
acceptent une grande proportion de réfugiés, cela aura
également une incidence sur le nombre de réfugiés pouvant revenir en Israël. On adopte un système de balance. C’est une astuce qui peut aboutir à la résolution du
problème et de ses nombreux blocages. On règle le problème par principe et par options et l’on se trouve donc
devant deux nombres indéterminés pour le moment,
celui des Palestiniens qui choisiront le retour en Israël et
celui des réfugiés qu’Israël est prêt à accueillir. Ce faisant, on se donne du temps. Et si par miracle, on en est
très loin actuellement mais l’histoire est faite de retournements, se dessinait demain une dynamique de paix, il deviendrait possible de convaincre les Palestiniens de
ne pas être trop nombreux à demander à revenir en
Israël et de faire ainsi en sorte que le nombre de ceux
qui demanderaient le retour en Israël s’approcherait du
nombre, encore inconnu, mais dont on peut supposer
qu’il ne sera pas très élevé, des réfugiés palestiniens
acceptés par Israël.
Il est en outre question de compensations matérielles. Aussi, ceux qui voudraient rentrer mais qui
seraient poussés à y renoncer se verraient offrir des compensations spécifiques. Pour l’heure, il s’agit, quoi qu’on
en dise, d’une manière d’avancer en ne laissant, ce qui
n’est pas si mal, que deux inconnues en suspens.
Il reste à régler un problème théorique difficile. Dans
l’accord de Genève, il est demandé aux Palestiniens de
ne pas revenir sur l’option qu’ils choisiront à l’issue des
deux ans d’information et de réflexion. C’est dire qu’une
fois la décision prise, ils doivent renoncer à la remettre
en cause. Autrement dit, ils renoncent à ce qui a été leur
droit au retour. Si le choix consiste à rester en Jordanie, à
aller au Canada ou en Cisjordanie alors qu’ils étaient originaires d’Israël, ce choix ne pourra plus être discuté. On
peut évidemment se demander si un droit considéré
comme un droit humain fondamental, affirmé par la
Déclaration universelle et repris par les pactes internationaux, peut faire l’objet d’une renonciation. En principe, non. Toutefois, il s’agit-là des chances d’aboutissement d’un accord de paix. Le principe retenu ici consiste donc à ce que l’exercice du droit implique son renoncement. Le droit est épuisé par cet exercice.
L’accord de Genève tente par ailleurs de régler un certain nombre d’autres difficultés. Elles ne sont pas
minces. À propos des colonies, nous avons vu qu’un certain nombre d’entre elles seront maintenues, mais enclavées dans le territoire israélien comme résultat des
échanges territoriaux. Pour toutes les autres, édifiées sur
le territoire de la Palestine, selon l’accord, elles seront
démantelées. Israël s’engagerait à les quitter tout en
laissant les infrastructures. Et cela représente un capital
immense. Les colonies de peuplement sont pourvues en
logements, routes, écoles, pompes et canalisation d’eau,
équipements électriques... Tout restera sur place. À première vue, il s’agit d’un point positif, au bénéfice des
Palestiniens. Pas tout à fait cependant car un peu plus
loin dans le texte, il est indiqué que tout cela sera évalué par une commission mixte internationale et que le
montant évalué sera déduit des indemnités qu’Israël
s’engage à verser aux réfugiés.
Ceux-ci bénéficient en effet de deux droits différents :
le droit au retour et le droit, indépendant, à une indemnité pour le dommage causé. Tout cela est admis dans
le texte. Il est prévu qu’une commission soit chargée
d’évaluer les dommages causés par les départs, et le
montant sera amputé de la valeur des biens laissés
dans les colonies.
L’accord dispose avec insistance qu’une fois signé,
ratifié, accepté par les deux parties, toute réclamation
devient impossible.
De fait, le but des négociateurs est d’éteindre le
contentieux. Si l’on fait la paix, on ne peut revenir sans
cesse sur un passé douloureux. C’est bien la condition
d’une paix réelle.
On doit garder à l’esprit ce qui se passe ou s’est passé
ailleurs. Partout où se sont déroulées des luttes terribles,
longues et fratricides, on mesure à quel point il est difficile de sortir d’un conflit. En Afrique du Sud, par exemple,
en dépit d’une commission Vérité et Réconciliation qui
n’a pas trop mal fonctionné et est même devenue un
modèle, la situation est encore pesante. Il est malaisé
d’affirmer que la paix est revenue dans le pays quand on
sait, à travers les lectures et reportages, ce qui se passe
vraiment dans les profondeurs de la société. Les cicatrices ne sont pas refermées. C’est également vrai en
Argentine, au Chili, où l’on tente de régler ce passé au
moyen de commissions de réparations pour les victimes.
Aussi, il me semble sage de vouloir effacer tous les
contentieux d’ordre civil ou financier. En revanche, il
serait grave, voire dangereux, de donner une interprétation de l’accord qui rendrait nuls les recours pour l’éventuel jugement pénal de crimes internationaux. Nul n’ignore qu’il y a eu des crimes relevant du droit pénal international moderne, imprescriptibles par nature. Aussi faut-il
rappeler qu’en dépit des formulations de l’accord, on ne
peut pas considérer qu’il entraîne une renonciation au
droit de poursuivre en justice les crimes internationaux.
Les poursuites ont un caractère d’ordre public et il est
impossible d’y renoncer.
Cet accord de Genève a l’immense mérite d’exister. Il
a fait du bruit au moment où il a été connu. Il en fait
beaucoup moins aujourd’hui. Cela signifie-t-il qu’il a été
englouti comme d’autres projets sous des vagues d’événements historiques différents ? Ou bien doit-on en
conclure que les négociateurs travaillent en silence à
ces fameuse annexes et que nous allons bientôt en
entendre à nouveau parler ? On dira simplement ici
pour conclure, sans sous-estimer les réserves qui viennent d’être exprimées, que ce texte mérite d’être pris
au sérieux par les opinions publiques des différents
pays du monde. Il serait malvenu de le rejeter et il faut
se garder d’y opposer une attitude maximaliste sans
prendre en considération les efforts qu’ont fournis les
deux équipes de négociateurs de se parler, de faire
preuve de bonne foi, de montrer que les aménagements n’étaient pas impossibles.
Il faut souhaiter que ce texte soit soutenu très fortement au niveau européen et qu’on ne laisse pas se développer les malentendus nés lors de certains meetings.
On ne peut pas laisser passer, par exemple, qu’Alain
Finkelkraut explique, s’exprimant à la radio, que les
camps seraient en ébullition car les réfugiés venaient
d’apprendre que leur droit au retour avait été liquidé
par les négociateurs. Il y va de la responsabilité de la
chaîne qui doit assumer l’exactitude de ce qu’elle diffuse. Il est clair qu’il n’y a pas de suppression du droit au
retour, mais un exercice du droit correspondant à une
recherche de solution.
L’Europe a donc à cette occasion un rôle majeur à
jouer. Nous devons agir sur nos partis politiques et les
pousser à adopter des attitudes plus courageuses sur ce
dossier. Nous devons les contraindre à ne plus faire chorus avec tout le discours de légitimité de la cause israélienne qui a littéralement envahi le champ de l’opinion
publique à partir de la question sécuritaire. Rappelons
sans relâche que la sécurité des Palestiniens est bien
plus menacée que celle des Israéliens et qu’il est de l’intérêt de ces deux peuples de parvenir à une paix équitable. L’accord de Genève ébauche un projet sans doute
amendable, mais qui répond dans ses grandes lignes
aux exigences d’équité.
DÉBAT
Question sur la discrimination à l’intérieur d’Israël et la situation des Arabes israéliens
Monique Chemillier-Gendreau
Le principe de non-discrimination à l’intérieur de l’État
d’Israël, affirmé dès la déclaration d’indépendance, résulte d’une forte pression internationale. Son adoption n’a
jamais été sincère. Le projet sioniste implique une
dimension discriminante qui s’est développée petit à
petit pour se révéler de plus en plus forte. La situation
des Arabes israéliens en témoigne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on peut estimer que peu de réfugiés
feront le choix d’exercer leur droit au retour en Israël. La
plupart n’ignorent rien de la discrimination que vivent les
Arabes israéliens et n’ont nulle envie de connaître cela.
Cette question soulève une nouvelle fois un point qui
n’est pas suffisamment traité et argumenté dans les
débats que nous menons. On laisse dire à l’opinion
publique internationale qu’Israël est une démocratie. On
ne peut pas laisser dire une telle chose. Une démocratie
ne consiste pas seulement en quelques recettes, avec
des élections, des partis politiques...
Regardons comment Georges Bush a imposé avec
toute sa magnificence la démocratie en Irak. Les Nations
unies ne sont pas en reste et imposent la démocratie au
monde entier, y compris à des pays où les cultures politiques sont différentes.
Aux Nations unies, il existe un service qui s’appelle
« ingénierie démocratique ». Il consiste à envoyer des
urnes dans les pays qui n’en disposent pas et où leur
transport s’avère particulièrement difficile du fait des routes coupées, notamment dans les pays tropicaux
pendant la saison des pluies. Les urnes n’arrivent donc
pas dans les villages dans les temps convenus et finissent par être bourrées avec n’importe quoi... Et on
appelle ça « la démocratie » !
On ne peut pas accepter cela. La démocratie est une
qualité de vie, un projet politique complexe qui ne se
réduit pas à quelques recettes constitutionnelles. Et
sous ce prétexte, on parle d’Israël comme d’une démocratie, alors qu’il s’agit d’un État fondé sur des principes
discriminatoires.
C’est souvent sur cette question que buttent les discussions. Prenons, à titre d’exemple, un débat entre
Yasser Rabo et Yossi Beilin, organisé à l’Assemblée
nationale sous la présidence de Jean-Paul Chagnollaud
et Alain Gresh avant le lancement de l’accord de
Genève. Ayant posé les arguments du droit international, Yossi Beilin rétorque que, certes, le droit international est important, mais que le problème est ailleurs. Et
s’adressant à Yasser Abed Rabbo, il dit : « Vous comprenez,
nous, il nous manque quelque chose : nous voulons être reconnus. »
Ce à quoi, il se voit répondre : « Mais comment reconnus ?
Vous le savez, nous vous avons reconnus, le monde entier vous a
reconnus et nous, les Palestiniens, c’est un fait, nous vous avons
reconnus. » Et Yossi Beilin ajoute : « Non, ce n’est pas suffisant,
nous voulons être reconnus comme État juif. » C’est alors que
Yasser Abed Rabbo a eu ce mot terrible, qui est passé
car les deux hommes s’entendent bien : « Mais qu’auriezvous dit si l’Allemagne d’avant-guerre avait demandé à être reconnue comme État aryen ? »
L’argument a glacé tout le monde, mais il était imparable.
Lors d’un autre débat de la même teneur, un interlocuteur de la tribune m’a répondu ceci : « Mais Madame, il
ne faut pas parler du droit international aux Israéliens, ça les énerve... » Israël est effectivement en porte-à-faux avec le
droit international. Le fait même qu’Israël souhaite être
reconnu dans sa spécificité ethnique est contraire au
droit international.
Mais ce qui demeure incompréhensible, c’est la passivité de la communauté internationale qui n’hésite pas
à parler d’Israël comme d’une démocratie et occulte par
conséquent les discriminations dont nous parlons. Or,
celles-ci sont explicitement interdites dans la Charte des
Nations unies.
Question sur les frontières et la définition juridique d’un État
Monique Chemillier-Gendreau
Il est particulièrement compliqué de définir selon une
approche juridique un État. Par exemple, il y a fort longtemps, la Cour de La Haye a été saisie d’une affaire entre
le Guatemala et le Lichtenstein, lequel avait attaqué en
justice le premier. Et la Cour s’est alors demandée si le
Lichtenstein était bien un État alors qu’il n’avait ni monnaie, ni armée, ni ambassade. Finalement, la Cour a décidé qu’il s’agissait d’un « micro-État » et que sa requête
était donc recevable.
Il n’existe pas de véritable définition d’un État en
droit international. Un État se définit par son effectivité
et sa souveraineté. Un certain nombre d’États n’ont, par
exemple, pas de constitution écrite.
En revanche, les frontières sont une condition déterminante. Au début des années 1970, je faisais partie d’un
groupe de juristes qui avaient été sollicités pour
répondre à la question suivante : qu’est-il possible de
faire pour bloquer la politique israélienne ? Nous avions
été quelques-uns à proposer de s’inspirer de ce qui
avait été fait pour l’Afrique du Sud contre l’apartheid,
non pas en mettant Israël à la porte des Nations unies
mais en l’empêchant de voter à l’Assemblée générale.
Pour l’Afrique du Sud, cela s’est passé au moment les
mandats des délégués de chaque pays ont été examinés. Une Commission est en effet chargée de vérifier la
validité des mandats afin d’éviter l’intrusion de farfelus
représentant de faux pays. On a dit au délégué d’Afrique
du Sud : « Pardonnez-nous mais vous venez d’un pays, certes souverain, mais dont la politique ne répond pas aux critères de la Charte
des Nations unies. Or chaque membre se doit d’en respecter les
règles, notamment en matière de discriminations. Par conséquent,
vous n’aurez pas le droit de vote. Votre mandat n’est pas correct. »
La même chose a été suggérée pour Israël en s’appuyant d’une part sur les discriminations et d’autre part
sur l’absence de frontières définies. Mais cette proposition n’a pas été retenue. On peut le regretter car elle
aurait été probablement très efficace. C’est également
cette année-là qu’a été votée aux Nations unies, sous la
pression des pays arabes, une résolution assimilant le
sionisme à une forme de racisme, une résolution annulée il y a quelques années.
La question des frontières doit être posée en gardant
à l’esprit que le titre d’Israël, sur son territoire de la résolution 181, n’est pas achevé puisqu’il n’est pas validé par
l’accord des détenteurs de la souveraineté, les Palestiniens. Pour certains, dire que ce titre est incomplet, revient à dire qu’Israël n’existe pas. Je ne dis pas du
tout cela, au contraire, Israël a un droit à l’existence car il
y a une effectivité de cet État. En revanche, j’entends par
là que, dans le cadre d’un accord de pays, l’État israélien
est demandeur car il a besoin de l’accord des
Palestiniens pour achever son titre juridique.
La question de la nationalité et le droit au retour
Monique Chemillier-Gendreau
Un des éléments de solution au droit au retour réside dans la nationalité. En supposant, et cela tient pour
l’instant du rêve, que l’accord de Genève entre un jour
en vigueur, les réfugiés palestiniens exerceront leur
droit au retour en respectant le délai imparti de deux
ans. Un tel choisira de partir en France ou au Canada, un
autre de rester en Jordanie ou au Liban. Une telle solution reste à négocier car elle demeure conditionnée à
l’acceptation par les pays concernés de leur donner la
nationalité. Les réfugiés auraient alors une identité nouvelle de la même façon qu’un individu demandant la
nationalité d’un autre État.
Hérite-t-on du droit au retour ? C’est une question
importante. Et la réponse du droit est : non. Les droits
humains sont des droits individuels, personnels. Donc,
ne bénéficient de ce droit, que les gens ayant été chassés ainsi que leurs enfants mineurs, ce qui dégonfle en
partie le problème. On ne peut pas raisonner de cette
manière. Une fois majeur, l’enfant né et ayant grandi en
Jordanie ne bénéficie plus du droit au retour, il est né
ailleurs. Autrement, nous n’en finissons jamais.
Il règne une certaine opacité sur cette question dans
la pensée politique contemporaine, liée en partie à
l’origine du problème juif. Lorsque des amis juifs me
disent : « Nous sommes des victimes », je leur réponds :
« Non, vos parents étaient des victimes. » Et je dis la même
chose à mes amis antillais lorsqu’ils affirment être victimes de l’esclavage. « Non, vos grands-parents, vos arrières
grands-parents l’étaient, pas vous ». Être le descendant d’une
victime ne fait pas de soi une victime. Et le droit est
destiné à clarifier cela.
Certaines choses se transmettent, les biens financiers,
les patrimoines, mais en aucun cas ce qui relève du droit
personnel et à plus juste titre, ce qui relève d’une atteinte personnelle. Le dommage au bien, quel qu’il soit, se
transmet, contrairement aux atteintes à la personne.
Nous vivons quand même dans des civilisations individualistes. Et sur ce point, force est de constater qu’une
certaine confusion anime les esprits.
Question sur le rejet de Genève par Ilan Pappé
Monique Chemillier-Gendreau
Il m’est difficile de débattre de cette question dans la
mesure où je n’ai pas eu connaissance des arguments
qu’il a avancés pour rejeter l’accord de Genève. En
revanche, à partir du moment où j’ai commencé à étudier
les accords et à déclarer que sans en être totalement
partisane, ils me semblaient constituer une base de travail intéressante, de nombreuses personnes m’ont interpellées. « Attention, voyez ce mail de Michel Warshawski qui est
contre Genève... » C’est une personne que je connais très bien. Mais on ne peut pas dire qu’il soit contre les
accords. Il dénonce simplement les manipulations dont
ils ont fait l’objet en Israël, y compris parfois par les
négociateurs eux-mêmes qui, trop frileux à exposer le
fruit de leur travail et à affronter leur propre société, ont
biaisé et truqué leur discours.
À l’occasion du séminaire qui s’est tenu à Ramallah,
était présente une sociologue allemande arabisante qui
travaille à Jérusalem depuis quelques années. Elle avait
une approche très intéressante car extrêmement critique, voire même agressive à l’égard des Palestiniens.
Elle exprimait le reproche suivant : « Pourquoi êtes-vous allé
faire cet accord sinon pour répondre comme des petits chiens qui
répondent à leurs maîtres à l’injonction donnée par Israël à travers
l’argument qu’il n’y a pas d’interlocuteur palestinien ? » Ce n’est
pas complètement faux. Il y avait de la part des négociateurs palestiniens cette intention de démonter cet argument devenu très répandu en Israël.
Si cet embryon d’accord qui constitue une réelle base
de discussion est voué dans l’immédiat à l’échec, il n’est
pas improbable qu’on le ressorte plus tard des cartons.
Cela se produira dans plusieurs mois, voire peut-être plusieurs années. Quoiqu’il en soit, il s’agit bel et bien de
l’avancée la plus importante de cette dernière décennie,
on est allé plus loin qu’à Camp David ou Taba. En outre, il
existe un support papier que l’on peut juger sur pièce.
Bernard Ravenel
À Taba, on a poussé plus loin qu’à Genève la question
de la responsabilité d’Israël dans l’expulsion de 1948 et
sur la formulation de la reconnaissance du droit au retour. Cela m’a été confirmé par Nabil Shaat, négociateur à Camp David et à Taba, et qui l’a lui-même signifié
à Yossi Beilin. Il s’agit d’un point historique et politique
essentiel, sous-estimé dans l’accord de Genève.
Monique Chemillier-Gendreau
C’est notamment pour cette raison qu’il faut se garder
de considérer cet accord comme garantissant la fin des
contentieux. Il est au contraire important de conserver la
possibilité d’un recours au contentieux pénal.
Question sur les dédommagements
Monique Chemillier-Gendreau
Toute idée de dédommagement suppose la responsabilité. En ce sens, les négociateurs ont fait preuve de
bonne foi et d’une grande habileté, afin de ménager les
susceptibilités. Outre le fanatisme des colons, ne sous-
estimons pas le fait que les Israéliens sont des écorchés
vifs, particulièrement rétifs à ce genre de mise en cause.
Or, le dédommagement suppose une reconnaissance
implicite de leur responsabilité. Ce n’est pas écrit noir
sur blanc, mais le résultat est sensiblement le même.
Question sur la fin du droit au retour
Monique Chemillier-Gendreau
Il est faux de considérer que Genève achève l’histoire
de la Palestine. Le danger, bien réel celui-là, tient plutôt à l’absence d’accord qui mettrait définitivement un
terme à l’histoire de la Palestine. L’ampleur du désespoir
n’est plus à démontrer. Nous en avons conscience. Mais
l’utopie aujourd’hui est de croire à la sortie du tunnel.
Encore une fois, il existe une différence entre dire que
cet accord est parfait, qu’il va se réaliser et dire qu’il
mérite d’être discuté.
Question sur la situation juridique de l’Autorité palestinienne
Monique Chemillier-Gendreau
Le droit international est un droit entre États. Nous
avons donc un État d’Israël, reconnu par la communauté
internationale et un État de Palestine, autoproclamé en
1988. Durant la dernière décennie, les Palestiniens ont
plusieurs fois suggéré de se reproclamer, ce qui est une
aberration pour tout juriste. L’État proclamé en 1988 a
été reconnu par une centaine d’États. Cette confusion,
opérée par les officiels palestiniens pendant Oslo, est
une grave erreur politique. L’État reconnu aurait dû se
comporter comme un État, signer des conventions internationales, par exemple, et exister dans la sphère internationale. Ce terrible manque de confiance en soi fait
évidemment le jeu d’Israël et de tous ceux qui déclarent
qu’il n’y a pas d’interlocuteur palestinien.
Pour sortir du conflit, juridiquement et politiquement,
il est nécessaire que les États voisins fassent preuve
d’un soutien crédible mais également que les 43
Palestiniens retrouvent la confiance qui leur manque
pour se maintenir sur une ligne cohérente.
Ce qui est intéressant dans la procédure de la Cour
internationale de Justice, c’est que la Palestine est considérée implicitement comme un État. En effet, il est dit,
au sujet des demandes d’avis consultatifs, que les États
et organisations internationales peuvent présenter des
documents écrits et des exposés oraux. Et la Palestine a
été admise à présenter un exposé oral de trois heures,
avec au préalable un document écrit.
(fin de l’enregistrement)