Lorsque Donald Trump a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël à l’occasion d’une fatidique allocution à la Maison Blanche début décembre, Mike Pence s’était contenté de rester à l’arrière-plan, planté comme un croque-mitaine à côté du sapin de Noël. Changement radical ce lundi à la Knesset, le Parlement israélien, où le vice-président américain s’est complètement approprié cette rupture historique avec la doctrine américaine et le consensus international sur la Ville sainte. Pour cette visite de deux jours à Jérusalem, originellement programmée mi-décembre, l’ultraconservateur « veep » a été reçu avec toute la pompe réservée aux chefs d’Etat. Et plus encore si l’on en croit les médias israéliens, qui se sont empressés de relater ses demandes de diva, d’une douche fraîche avant son discours à l’installation de téléprompteurs high-tech.
Au-delà de l’annonce officielle du déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem d’ici la fin 2019, annonce que Nétanyahou n’avait pu s’empêcher de déflorer la semaine dernière, le discours de Pence, fervent évangélique, a été marqué par une rhétorique saturée de références religieuses. Du jamais vu à ce niveau diplomatique. Un ton biblique qui avait contaminé le président de la Knesset, Yuli-Yoel Edelstein, déclarant en préambule : « Je sais que vous aimez lire les mots des prophètes sur le peu de temps libre qu’il vous reste. Comme vous le voyez, ces mots sont devenus réalité. La cité de David est reconstruite, et nos gardes ont repris leur position sur nos murs. » Hochements de tête vigoureux de Pence.
Au moment où ce dernier s’approchait de la tribune, les députés arabes ont manifesté leur colère envers la reconnaissance unilatérale de Jérusalem par les Américains, véritable casus belli aux yeux des Palestiniens, qui revendiquent la partie Est de la ville comme futur capitale de leur Etat. Ces derniers ont juste eu le temps de brandir des pancartes « Jérusalem est la capitale de la Palestine » avant d’être rapidement expulsés de la salle.
Signal
Au micro, Pence a radicalement affirmé que la place des Etats-Unis était au côté d’Israël, confirmant ainsi l’ire de Mahmoud Abbas, qui ne cesse de répéter que Washington n’est désormais plus « un médiateur honnête » et avait décidé de boycotter Mike Pence. Au même moment, le président palestinien était donc à Bruxelles, où il a déjeuné avec les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne et sa Haute représentante pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini. Le « raïs » palestinien, qui a prononcé la « mort des accords d’Oslo » à l’occasion d’un virulent discours à Ramallah la semaine passée, a appelé les Vingt-Huit à reconnaître « rapidement » la Palestine comme un Etat indépendant. Un signal indispensable pour entretenir « l’espoir » des Palestiniens en la paix, a-t-il insisté. Il se murmure que la Slovénie pourrait franchir le pas dans les jours à venir. Mogherini s’est, elle, contentée d’implorer Abbas de revenir à la table des négociations, ce qu’il refuse catégoriquement tant que le processus de paix sera sous l’égide exclusive des Etats-Unis. « Ce n’est pas le moment de se désengager », a botté en touche la diplomate européenne.
Shehecheyanu
Pendant ce temps, à Jérusalem, Pence tissait des parallèles messianiques entre les destinées de l’Amérique et d’Israël, fondés « par des colons qui étaient aussi des pèlerins », jouant sciemment sur la polysémie du mot « colons » (« settler » en anglais). Plusieurs leaders des colonies en Cisjordanie occupée avaient été invités à la Knesset pour l’occasion, une attention sans précédent selon le quotidien de gauche Haaretz. Comme Trump en décembre, Pence a fait mention du soutien des Etats-Unis à la solution à deux Etats, augmentée du nouvel élément de langage américain : « Si les deux parties l’acceptent. » Standing ovation des députés de gauche, pendant que ceux de droite restaient bien enfoncés dans leurs sièges. Le vice-président américain a juré que l’Iran n’aurait jamais la bombe nucléaire et réitéré la défiance de l’administration Trump envers l’accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015, qualifié de « désastre » et sous la menace du désengagement de Washington si celui-ci n’est pas amendé. Une prise de position qui lui a valu un nouveau tonnerre d’applaudissements, tout comme sa récitation en hébreu du shehecheyanu, une bénédiction juive réservée aux grandes occasions.
« Le discours messianique de Pence est un cadeau aux extrémistes et prouve que l’administration américaine fait partie du problème et non de la solution », s’est insurgé Saeb Erekat, à la tête de l’équipe de négociation palestinienne. L’éditorialiste d’Haaretz Chemi Shalev a préféré ironiser sur Twitter : « Après le discours de Pence, les quatre cavaliers de l’apocalypse vont entourer la Knesset, puis sept trompettes vont retentir et Gog et Magog [émissaires de l’Antéchrist, ndlr] feront leur truc. » Une référence aux croyances extrêmes des chrétiens sionistes, dont Pence est le plus influent porte-voix, pour qui le retour des Juifs à Jérusalem doit augurer du retour du Messie puis du Jugement dernier, où ces derniers auront le choix entre se convertir ou mourir…