Les égouts se sont déversés dans Gaza. Cela a commencé jeudi 14 novembre, avec des coulées de boue fétide qui pénètrent dans les cours et envahissent parfois le rez-de-chaussée des maisons. La veille, l’une des principales stations d’épuration des eaux usées avait arrêté de fonctionner, en raison de la pénurie d’électricité et de fioul qui frappe Gaza. Il suffit d’emprunter la route Al-Rachid, qui longe le paysage faussement idyllique de la bande côtière, pour mesurer l’ampleur du défi des égouts de Gaza : au moins huit collecteurs d’un mètre de diamètre se jettent dans la mer.
En voici un, dans le prolongement du village d’Al Zahra, qui sort de la dune sur trente mètres, et expulse une eau verdâtre, mousseuse et pestilentielle dans les vagues de la Méditerranée, destination quotidienne de plus de 90 000 mètres cubes d’eaux partiellement traitées ou non.
A moins de deux cent mètres de là, cinq ou six pêcheurs tirent leur filet sur le sable... La pénurie d’électricité et de fioul qui frappe la bande Gaza a pour conséquence d’empêcher le pompage des eaux non traitées, et celles-ci s’échappent dans les rues. Heureusement, à l’avenir, il y aura NGEST, soit le "Traitement d’urgence des eaux usées du nord de Gaza".
C’est un projet emblématique pour l’enclave palestinienne, et le plus important projet financé par la France dans l’étroite bande de terre, via l’Agence française de développement (AFD). Paris a déjà contribué pour 16 millions d’euros sur un total (provisoire) de 78 millions d’euros. Les autres partenaires sont la Banque mondiale, l’Union européenne, la Banque européenne d’investissement (BEI), la Belgique et la Suède.
A l’origine, une catastrophe sanitaire et environnementale : la station d’épuration du nord de la bande de Gaza recevait les eaux usées de villages où habitent environ 250 000 personnes. Alors qu’elle devait traiter 5 000 mètres cubes par jour, elle en a reçu le triple. Les effluents ont vite formé un lac artificiel, dont les digues se sont rompues en mars 2007. Les eaux se sont répandues dans les sols, polluant l’aquifère.
La nouvelle station de pompage, destinée au transfert des eaux usées vers des bassins d’infiltration, a été achevée en 2010. Quant à la station d’épuration biologique, elle pourra traiter 35 600 m3 par jour et servir quelque 350 000 habitants. Outre que l’eau traitée pourra être utilisée pour l’agriculture, la production de gaz méthane devrait, à terme, couvrir 60 % des besoins énergétiques de la station.
« Une décision politique »
Beau projet, belle usine, qui devrait être opérationnelle en janvier 2014. En théorie. Car elle est située à la lisière est de la bande de Gaza, en zone interdite, à 200 mètres de la clôture où patrouillent les chars de Tsahal [1].
Pour embrasser le paysage alentour, il faut monter sur une terrasse, après avoir enfilé un gilet fluorescent de couleur orange, une précaution indispensable pour éviter d’être pris pour cible par la mitrailleuse automatique de l’un des monstrueux miradors de béton qui gardent la frontière avec Israël.
Une centaine d’employés arrivent sur ce site à haut risque à 8 heures du matin, et le quittent impérativement à 17 heures, par ordre de l’armée israélienne. Pendant les années de construction, les retards pour cause de matériaux non autorisés, d’interdictions d’accès au site et de bombardements pendant les guerres de l’hiver 2008 et de novembre 2012, ont été nombreux.
Aujourd’hui encore, les autorités israéliennes mettent en avant des « raisons de sécurité » pour interdire telle ou telle livraison. C’est notamment le cas pour les 200 litres de liquide de refroidissement qui sont indispensables pour faire fonctionner la partie énergétique de la centrale. Mais il y a plus inquiétant : sans électricité, le projet NGEST ne verra jamais le jour.
Après de longs atermoiements des Israéliens, le chef du projet, l’ingénieur Sadi Ali, a obtenu une vague « promesse », le 4 novembre. Israël devrait fournir 3 mégawatts à la centrale (sur les 10 MW nécessaires). Mais rien n’est officiellement signé, et plusieurs problèmes techniques doivent être résolus. Quant aux 7 MW restants, c’est une autre histoire : « Cela supposerait la modernisation de toutes les infrastructures électriques de Gaza, ce qui demandera beaucoup de temps ; c’est une décision politique », constate sans illusion l’ingénieur Sadi Ali.
NGEST est un projet phare pour la coopération française – et celle des pays occidentaux – à Gaza. S’il échoue, celui d’une usine de désalinisation de l’eau de mer, qui serait essentiel pour la production d’eau potable à Gaza, ne verra jamais le jour. Or, il s’agit d’un investissement bien plus considérable, de l’ordre de 450 millions de dollars (333 millions d’euros), avec une part française, promise en 2012 par l’ancien premier ministre François Fillon, de 10 millions d’euros. La station d’épuration de Gaza est un test de la volonté israélienne de permettre ou non le développement de l’enclave palestinienne, un registre où les précédents n’incitent pas à l’optimisme.