Nisma doit se marier. Son fiancé l’attend à Istanbul. Leur union sera célébrée après les fêtes de l’Aïd-el-Kébir, début septembre. Accompagnée de son père, la jeune femme, âgé de 20 ans, attend, impatiente, dans le hall des départs au point de passage de Rafah, entre la bande de Gaza et l’Egypte. « C’est frustrant, car Rafah n’est jamais ouvert, regrette la jeune Palestinienne. Nous rêvons de pouvoir circuler librement. On nous promet que la situation va s’améliorer, mais rien ne change. » La demande de sortie de Gaza par l’Egypte du père et de la fille a été déposée en janvier auprès de l’administration du Hamas, qui contrôle la bande de Gaza. Elle vient seulement d’être validée. Idem pour Latifa Mohammad, 75 ans, qui va enfin pouvoir subir une opération chirurgicale au Caire.
Une fois n’était pas coutume à Rafah, l’Egypte a ouvert, dimanche 27 août, pour deux jours, le seul accès vers la bande de Gaza qui n’est pas sous le contrôle d’Israël. Pendant quarante-huit heures, quelques milliers de Gazaouis ont pu transiter par le territoire égyptien pour ensuite s’envoler, depuis l’aéroport du Caire, vers les pays du Golfe, l’Europe ou les Etats-Unis. La mesure n’était que temporaire. La réouverture pérenne du poste de Rafah, au cœur de négociations complexes au Caire avec le Hamas et l’homme d’affaires Mohammed Dahlan, ancien haut responsable du Fatah, semble encore incertaine.
« Trente mille Palestiniens sont bloqués ici alors qu’ils auraient besoin de sortir de Gaza pour se faire soigner, étudier ou bien rendre visite à leur famille », estime Waël Abou Omer, porte-parole du Hamas au point de passage de Rafah. Depuis octobre 2014, les autorités égyptiennes n’ont ouvert le lieu de transit qu’en de rares occasions – se justifiant par des considérations sécuritaires. La présence de centaines de djihadistes dans le Sinaï, affiliés à l’organisation Etat islamique (EI) a renforcé leur vigilance. Entre janvier et août 2017, Rafah a été ouvert quatorze jours seulement. Et quarante-huit en 2016, selon le Centre palestinien pour les droits de l’homme (PCHR) basé dans la ville de Gaza. Quant à une ouverture plus régulière de la frontière, « nous pouvons faire passer 3 000 personnes par jour, mais tout dépend du côté égyptien », explique Waël Abou Omer.
Crise humanitaire
Depuis la prise de pouvoir en 2007 par le Hamas, le mouvement islamiste armé, la bande de Gaza est soumise à un blocus instauré par Israël et par l’Egypte. L’économie du territoire palestinien a chuté de 50 %, d’après le PCHR. La crise humanitaire est accentuée par les restrictions imposées par l’Autorité palestinienne (en Cisjordanie) pour faire pression sur le Hamas et le contraindre à négocier un gouvernement d’union nationale. L’enclave, l’une des plus densément peuplées au monde (2 millions d’habitants), risque de devenir « invivable » d’ici 2020, a prévenu l’ONU. En visite à Gaza mercredi 30 août, son secrétaire général, Antonio Guterres, a appelé à la levée des blocus israélien et égyptien.
La réouverture régulière du poste de Rafah est un point central dans les discussions au Caire entre le Hamas, l’Egypte et les partisans de Mohammed Dahlan, l’ex-homme fort du Fatah dans la bande de Gaza, exilé à Abou Dhabi. Mi-août, le nouveau chef du Hamas à Gaza, Yahya Sinouar, avait affirmé qu’elle prendrait effet début septembre. Mais rien n’est moins sûr. « Des travaux de réfection du côté égyptien de la frontière ne sont pas terminés, il faudra encore compter deux semaines à un mois », prévient Waël Abou Omer.
Si l’ouverture de Rafah « ne résoudra pas la crise », elle permettrait au moins de « soulager la population » gazaouie, et de « faciliter la circulation des marchandises et des personnes », affirme Samir Abou Moudallala, professeur d’économie à l’université Al-Azhar de Gaza.Surtout, « si les biens passent par une voie formelle et légale, on n’aurait plus besoin des tunnels », poursuit-il.
Economie parallèle
Il fait allusion au millier de tunnels de contrebande creusés entre l’Egypte et le sud de la bande de Gaza, entre 2009 et 2013, pour contourner le blocus. « Ils représentaient 60 % des revenus à Gaza, mobilisaient près de 20 000 personnes pour les creuser, assurer le transfert des produits et leur revente dans la bande de Gaza », explique-t-il. Cette économie parallèle très lucrative a été étroitement contrôlée par le Hamas.
Après la destitution de l’ancien président islamiste égyptien Mohamed Morsi, en 2013, les relations entre le Hamas, proche des Frères musulmans égyptiens, et l’Egypte se sont détériorées. Près de 90 % des tunnels, vitaux pour l’économie gazaouie, ont été détruits par Le Caire, qui accusait le mouvement islamiste palestinien d’y faire transiter des armes et de soutenir les réseaux djihadistes dans le Sinaï.
En pleine crise de légitimité après dix ans au pouvoir et isolé par la mise au ban du Qatar, son principal bailleur de fonds, par les autres pays du Golfe, le Hamas cherche désormais à restaurer ses relations avec son voisin égyptien. Les négociations menées au Caire, par l’intermédiaire de M. Dahlan, symbolisent ce rapprochement. « La réouverture de Rafah prendra du temps, reconnaît Ahmed Youssef, figure politique modérée du Hamas. Il faut d’abord restaurer la confiance avec l’Egypte. Nous nous sommes donc engagés à une coopération sécuritaire dans le Sinaï. » En juin, désireux de donner des gages de bonne volonté, le Hamas a annoncé l’établissement d’une nouvelle zone de sécurité le long de la frontière avec l’Egypte.
« C’est une question de sécurité, et non de politique, qui retarde l’application » de l’accord sur Rafah, assure Soufian Abou Zaida, un responsable du Fatah proche de M. Dahlan. Raji Sourani, directeur du PCHR, estime pour sa part que « la liberté de mouvement » devrait être plutôt permise « avec Jérusalem et la Cisjordanie pour assurer l’unité palestinienne », ce qui implique « la levée du blocus israélien ».