Le vendredi 30 mars 2018, des milliers de familles et de civils palestiniens parmi lesquels des jeunes, des enfants, des femmes et des hommes de la Bande de Gaza ont célébré la Journée de la Terre, ont manifesté contre le long bouclage depuis 11 ans, et réaffirmé leur droit au retour, par une marche pacifique vers les zones frontières avec Israël le long de la Bande de Gaza. En réaction, les Forces d’Occupation Israéliennes (FOI) s’étaient longuement préparées et avaient déployé des forces et des équipements supplémentaires dans la région, comprenant des tireurs d’élite, des drones, des bulldozers, et des chiens d’attaque, et d’avaient émis des ordres explicites de faire usage de tirs à balles réelles contre les manifestants [1].
Avant les manifestations, les responsables israéliens et les FOI ont envoyé des messages menaçants sous la forme de tracts répandus dans certaines zones, de messages sur les comptes officiels de médias sociaux [2], ainsi que d’appels téléphoniques aux chauffeurs de cars les mettant en garde contre le fait de transporter des manifestants. Dans un usage délibéré, inutile , disproportionné et aveugle de la force létale, les FOI ont, le 30 mars, tué 15 Palestiniens et en ont blessé au moins 1.416 autres, dont 758 avec des balles réelles [3].
Les manifestants ont été pris pour cible alors qu’ils marchaient dans les zones frontières, à des distances les séparant de la barrière-frontière variant entre 300 et 700 mètres, à Rafah, à Khan Younis, dans le Gouvernorat Central, à Al-Shuja’iyya, et dans le Camp de Réfugiés de Jabaliya, où ils avaient installés des tentes portant les noms des villages d’origine dont ils ont été dépossédés en 1948. Il faut noter que la population de la Bande de Gaza est constituée à environ 65,3 % de réfugiés palestiniens [4], représentant au moins 1,3 millions de réfugiés répartis entre huit camps de réfugiés [5].
Selon l’observation sur le terrain et la documentation de Al-Haq, des centaines de membres des FOI lourdement armés, comprenant des dizaines de tireurs d’élite et de véhicules militaires, se sont déployés derrière la zone de la frontière dans ces endroits. Alors que le nombre des manifestants augmentait, les FOI ont accru leur force létale excessive, par le tir de balles réelles, de balles en caoutchouc, de gaz lacrymogènes lourds tirés par des drones et des véhicules militaires, en prenant pour cibles les manifestants palestiniens. Dans le Gouvernorat du Nord, cinq jeunes hommes palestiniens ont été tués entre 12 h 30 et 18 h 15 et au moins 244 autres ont été blessés, dont 54 enfants et sept femmes. Parmi les 244 blessés, 214 ot été victimes de tirs à balles réelles. A 12 h 30, Muhammad Kamal Al-Najjar, 25 ans, a été tué par les FOI, dont les tirs l’ont touché à l’estomac, tandis que Bader Fayeq Al-Sabbagh, 21 ans, a été mortellement atteint à la tête à environ 16 h 30. Abd Al-Fattah Bahgat Abd Al-Nabi, 19 ans, a été mortellement atteint par un tir à la tête à environ 17 h. Dans une vidéo diffusée, Abd Al-Fattah semble s’enfuir, en partant un pneu, tournant le dos à la barrière-frontière au moment où il a été abattu– en ne représentant aucun danger pour les FOI. Pendant ce temps, à environ 18 h 15, les FOI ont tiré deux obus d’artillerie sur le Nord-Est de Beit Hanoun, tuant deux membres de la résistance armée positionnés dans leurs emplacements : Sari Waleed Abu Odeh, 27 ans, et Hamdan Ismail Abu ‘Amsha, 23 ans.
A l’Est de la ville de Gaza, les FOI ont tué quatre manifestants palestiniens qui étaient d’environ 100 mètres à l’écart de la barrière-frontière, et en ont blessé au moins 336, dont 70 enfants et 11 femmes, parmi lesquels 203 ont été atteints par des tirs à balles réelles. Ahmad Ibrahim Odeh, 19 ans, a été tué d’une balle à la tête, tandis que Mahmoud Sa’di Rahmi, 33 ans, est mort d’une balle dans la poitrine. Muhammad Nai’m Abu Amro, 26 ans, a été atteint mortellement à l’estomac, et Jihad Ahmad Farina, 34 ans, a été tué pour avoir été atteint par un tir au visage et au cou. Pendant ce temps, à Khan Younis, à environ 16 h 30, avant que les manifestations n’aient commencé, les FOI ont tiré deux obus d’artillerie sur deux agriculteur palestiniens qui, depuis 14 h, récoltaient du persil sur un terrain agricole à environ deux kilomètres à l’écart de la barrière-frontière, à l’Est de Al-Qarara, en tuant Omar Waheed Samour, 26 ans, et en blessant l’autre. Plus tard dans la journée, et pendant les manifestations, les FOI ont tué Jihad Zuheir Abu Jamous, 29 ans, par un tir qui l’a atteint à la tête. Au total, le nombre des Palestiniens blessés à Khan Younis a été de 207, dont 31 enfants et 11 femmes.
A l’Est du Camp de Réfugiés d’Al-Breij, Abd Al-Qader Mardi Al-Hawajri, 42 ans, et Naji Abdallah Abu Hajir, 25 ans, ont été tués après qu’un tir les a atteints à l’estomac. Au moins 166 personnes, dont 30 enfants et deux femmes, ont été blessées par des balles. Pendant ce temps, à l’Est de Rafah, les FOI ont tué Amin Mahmoud Mu’ammar, 25 ans, et Ibrahim Salah Abu Sha’ar, 20 ans, par des tirs les atteignant à la tête. Au total, 93 Palestiniens ont été blessés par des balles réelles à l’Est de Rafah, dont 33 enfants et quatre femmes.
Au cours des quelques derniers mois, les jeunes Palestiniens ont manifesté dans la Bande de Gaza à de nombreuses reprises, particulièrement à la suite de l’annonce de Trump sur Jérusalem, pendant lesquels les FOI ont continué a faire usage de façon excessive et disproportionnée de la force et de la force létale contre des manifestants civils palestiniens, parmi lesquels des enfants, et se sont entraînés à une pratique évidente du tirer-pour-tuer [6]. Entre le 15 décembre 2017 et le 31 mars 2018, les FOI ont tiré et tué 21 manifestants palestiniens dans la Bande de Gaza, tué trois pêcheurs et agriculteurs, et quatre autres dans des tirs d’obus d’artillerie et des frappes aériennes [7]. En même temps, la Bande de Gaza a été soumise au bouclage imposé par les Israéliens depuis plus de 11 ans, la transformant en une prison à ciel ouvert, dans de terribles conditions humanitaires, comprenant des pénuries pour les besoins fondamentaux, tels que l’eau, la nourriture et les matériels médicaux, et la destruction de tous les domaines de vie à l’intérieur de celle-ci.
L’utilisation par les FOI de la force et de la force létale contre les manifestants palestiniens, y compris le 30 mars 2018 dans la Bande de Gaza, contrevient aux normes du droit international et des droits de l’homme. Les FOI assouplissent délibérément et systématiquement les règles d’ouverture de feu et déclenchent le tir, y compris à balles réelles, sur les manifestants palestiniens, en les exposant à un danger imminent de blessure physique. En fait, les porte-parole des FOI ont réaffirmé de façon explicite leur volonté de contrecarrer les manifestations de mars partout dans la Bande de Gaza par tous les moyens nécessaires [8]. Ceci est contraire aux obligations d’Israël en tant que Puissance Occupante, lesquelles l’obligent à respecter le droit à la vie de la population occupée, à s’abstenir d’utiliser la force létale, et à se conformer aux principes de proportionnalité et de nécessité en cas de recours à l’usage de la force [9].
Les autorités israéliennes d’occupation et leurs forces continuent à ignorer les droits humains fondamentaux de la population palestinienne d’ici, principalement le droit à la vie, par l’usage excessif de la force et des punitions collectives. Les attaques des manifestants palestiniens le 30 mars 2018 attestent davantage de la suppression ininterrompue par Israël du droit des Palestiniens à manifester pacifiquement, mais de façon plus importante du droit à concrétiser le droit au retour qu’Israël continue à refuser. Le droit au retour des Palestiniens est inscrit dans le droit international, reconnu aussi par les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU, 194 de 1948, et 237 de 1967 qui oblige Israël à “assurer la sûreté, le bien-être et la sécurité des habitants des régions où les opérations militaires se sont déroulées et à faciliter le retour de ceux des habitants qui ont fui ces régions depuis le déclenchement des hostilités.” [10]
Al-Haq condamne le ciblage systématique et ininterrompu des Palestiniens dans tous les Territoires Palestiniens Occupés (TPO), particulièrement dans la Bande de Gaza. Al-Haq met en garde contre la détérioration de la situation dans la Bande de Gaza et demande une action immédiate et urgente de la part de la communauté internationale pour lutter contre l’impunité de longue date d’Israël devant les violations des droits de l’homme, les graves infractions, et les crimes perpétrés contre les populations occupées. Compte tenu de ceci, Al-Haq demande :
- Des mesures immédiates et concrètes, comme faisant partie des obligations des Etats Tiers selon le droit international, pour assurer la protection de la population palestinienne occupée, y compris en concrétisant leur droit à la vie et leur droit à l’auto-détermination ;
- Aux Hautes Parties Contractantes à la Quatrième Convention de Genève de convoquer une réunion urgente, abordant les graves violations par Israël de la Convention et en conséquence la protection de la population civile palestinienne ;
- La création par le Secrétaire Général de l’Organisation des Nations Unies d’une commission d’enquête indépendante sur les meurtres perpétrés le 30 mars 2018 dans la Bande de Gaza, tels que mis en évidence dans sa déclaration du 30 mars 2018, [11] et comme faisant partie des attaques ininterrompues contre les civils palestiniens et du bouclage imposé ;
- La fin du bouclage de la Bande de Gaza imposé par Israël, dont la levée du blocus maritime, et la garantie du droit des populations occupées à la liberté de déplacement des populations occupées, et l’assurance de la contiguïté territoriale des TPO ;
- La protection, la concrétisation et la facilitation du droit au retour des réfugiés palestiniens, y compris en protégeant et en garantissant les fonctions des installations et des services de l’UNRWA ;
- L’ouverture d’une enquête par le Tribunal Pénal International sur la situation en Palestine et l’examen de tous les cas dans lesquels des crimes internationaux sont supposés avoir été perpétrés dans les TPO.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers